Le Temple Noir
démons fondit sur la porte. À leurs poings gantés de fer, brillaient des lames avides de sang. Dans la population, la panique faisait ses premières victimes. Des enfants roulaient à terre tandis que des cris de femmes résonnaient de désespoir contre le mur. En un instant, les pillards furent au contact. Un mur de fer s’écrasa contre la foule.
Roncelin fut le premier à frapper. D’un mouvement de la main, il fit pivoter sa hache pour que le tranchant profite de toute l’accélération de ses muscles. Son adversaire sentait la sueur et portait un bouclier de la main gauche. Quand le métal pénétra sa chair, son regard se vida, ses entrailles cédèrent sous la peur. À ses pieds un homme agonisait déjà, une flèche encore vibrante dans l’œil. Roncelin sourit. Le fil de la lame taillait comme un rasoir. Chaque matin, il l’aiguisait avec méthode et jouissance. Le tranchant fendit l’aisselle comme un fruit mûr et plongea à travers les côtes.
D’un simple geste du poignet, le Provençal inclina la trajectoire et d’un trait sectionna les artères. Libéré des entrailles, le cœur bascula dans la plaie, dévala le long de la cuirasse et roula dans la poussière.
Roncelin l’éclata d’un coup de talon.
L’imam fut le premier à fuir. Il se mit à courir, foulant sans pitié tout ce qui gênait son passage. Allah ne pouvait permettre que son serviteur perde la vie de la main de ces maudits croisés. Il fallait s’échapper. D’un coup de pied, il écrasa le visage d’un enfant renversé et fonça vers la porte. Autour de lui, la panique multipliait les victimes. Un marchand avait été projeté au pied du rempart où il achevait d’être piétiné. Devant la porte, les cadavres crevés de flèches bloquaient le passage. C’est sur eux que les archers de la compagnie avaient concentré leurs tirs. À coups de sabre, des soldats affolés tentaient de découper un passage dans ce mur de chair. Khatani n’hésita pas. D’un saut, il prit appui du talon sur l’épaule d’un cadavre, saisit un bras qui pendait, agrippa une chevelure souillée de sang et se hissa sur la barricade de morts. Une lance, projetée à toute volée, faillit l’atteindre ; il plongea, roula entre les corps et atterrit près du battant de la porte. Il se releva, hagard, mais vivant. Allah, le Tout-Puissant, l’avait sauvé.
Les archers tiraient maintenant en continu. Des buissons de flèches tombaient du ciel, provoquant chaos et désespoir.
Roncelin saisit le fer de sa hache et ôta les lambeaux de chair qui souillaient le tranchant. Il leva la visière de son casque. Un grondement montait de l’oliveraie. Les cavaliers allaient dévaler et hacher menu les survivants. Sous son masque, Guillaume ruisselait de sueur. Il fit sauter son épée dans la main gauche et saisit sa masse. C’était son arme fétiche. Un lourd manche de frêne, une chaîne bien graissée et à l’extrémité, un boulet de six livres, hérissé d’une forêt de pointes venimeuses. Guillaume lança son bras. La masse bondit, creusa une ornière de sang dans le premier rang des défenseurs, avant de finir sa course, fichée dans le visage d’un garde. Pour la dégager, Guillaume tira d’un coup sec, emportant entre les pointes dégoulinantes un mélange informe de cervelle rose et d’os brisés. Quand il leva la tête, un cheval jaillit de la nuit.
L’Apocalypse était en marche.
Malgré l’obscurité, l’imam ne ralentissait pas sa course. Au milieu de la rue principale, il avait obliqué à gauche, disparaissant sous un passage couvert, avant de ressurgir sur une place encore endormie. Khatani se plaqua contre un mur et défit ses sandales. Il sentit les dalles fraîches sous ses pieds, jeta un œil sur les façades et, rassuré, s’avança à pas lents sous les arcades. Il détestait ce quartier. C’est là que vivaient les Syriaques, ces chrétiens d’Orient aux rites étranges, opportunistes et vénaux, qui selon la situation politique jouaient la carte des musulmans ou des Francs. S’il tombait entre leurs mains, nul doute que ces chiens ne le vendent au prix fort aux croisés. Brusquement, il s’immobilisa. Une fenêtre venait de s’ouvrir. Une lumière apparut. Khatani se colla contre le mur, son sang lui battant les tempes. Une deuxième fenêtre s’illumina, puis une autre. Alors l’imam comprit. Le bruit des combats venait d’atteindre la place. Assourdi par sa course, il ne l’entendait plus,
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