Le Temple Noir
entrevoyait, il pressentait une maîtrise de son destin.
Il accéléra le pas. La soirée s’annonçait terriblement excitante. Il ne rentrerait pas directement dans son studio minuscule de Camden où personne ne l’attendait, mais filerait directement à l’Oxo, un restaurant branché de l’autre côté du fleuve, puis se rendrait dans un immeuble proche du Dôme du Millénaire pour se taper la superbe escort-girl réservée sur Internet. Yasmina, quatre cents livres les deux heures, une beauté sublime qui ressemblait trait pour trait à la nouvelle femme de Caliento, le vibrionnant avant-centre de Liverpool, l’équipe de sa ville natale, dont la devise légendaire claquait au vent des stades : Tu ne marcheras jamais seul . Eh bien, lui non plus ne marcherait plus jamais seul ; désormais, l’argent l’aiderait à se forger une nouvelle vie.
Il songea aux courbes délicieuses entrevues sur les photos de la belle Yasmina. Ce sera une soirée de malade, il allait profiter de ces deux heures avec délectation. Il s’était d’ailleurs rasé pour l’occasion, juste avant son rendez-vous avec l’aristocrate.
Quelques voitures filaient le long de la Tamise, l’avenue était quasiment déserte. Il aperçut à une trentaine de mètres le cercle rouge barré, logo du réseau de métro, et réalisa qu’il aurait très bien pu prendre un taxi, il en avait désormais les moyens. Au diable ses réflexes de pauvre.
Au moment où il passait devant une affiche de pub sur les plages de Marbella, il aperçut un homme mince arriver derrière lui, un type en costume-cravate.
— Monsieur !
Dray eut un mouvement de surprise. L’homme s’approcha, il tenait à la main un petit tube métallique, comme un rouge à lèvres.
— Je crois que vous avez perdu quelque chose.
Il se figea. Encore un type qui voulait le taper, même les SDF portaient des costumes maintenant.
— Je ne pense pas. Désolé, je suis pressé.
Il sentit une légère odeur douceâtre, un peu écœurante. Ce type aurait pu choisir un parfum de meilleure qualité, comme le sien. Le type replia sa main et afficha une mine contrite.
— Excusez-moi. J’ai vraiment cru que c’était tombé de votre poche. Bonne soirée.
L’inconnu pressa le pas et s’éloigna en sens inverse. Dray haussa les épaules ; comme s’il ressemblait à un travelo qui se baladait avec du rouge à lèvres ! Il se retint de courir derrière lui, histoire de lui apprendre les bonnes manières.
Damn bastard.
Il continua en direction du métro. Plus que deux heures avant de se taper la pute et il allait en profiter au maximum. Une onde de chaleur le parcourut. Il esquissa un sourire mais quelque chose clochait. Il avait vraiment chaud tout d’un coup, son cœur ralentissait. Ça ne lui était jamais arrivé. Sa vue se brouilla. C’était comme si une pince à tenaille rougie lui agrippait les poumons. Dray s’affaissa à terre comme une masse. Il tenta d’appeler à l’aide mais aucun son ne sortit de sa bouche. Son cœur se recroquevillait sur lui-même ; il agrippa sa chemise pour l’ouvrir mais en vain, l’air ne rentrait plus dans sa poitrine. Il gisait, étendu sur le trottoir, la nuque contre le macadam sec. Sa conscience s’obscurcissait à toute allure. Il sentit une main lui prendre le visage. Une voix féminine, fluette, retentissait de très loin, comme en écho.
— Monsieur, monsieur ! Je vais appeler les secours.
Il n’arrivait pas à distinguer la tête de la femme, mais il comprit ce qui lui arrivait. Ce salopard d’aristo, c’était ça. Il s’était débarrassé de lui. Rassemblant ses dernières forces, il agrippa le manteau de la femme.
— Je suis… Lord…
— Ne dites rien, gardez votre souffle, vous faites un malaise cardiaque.
Miss Eldridge était en train de pianoter sur son portable. C’était bien sa veine, non seulement elle était en retard et en plus elle tombait sur ce malheureux. Quelle idée d’avoir pris par Embankment ! En plus, le numéro des urgences était occupé. Pas étonnant, le gouvernement charcutait les services de santé, elle avait vu un reportage sur la BBC . Tout partait à vau-l’eau dans ce pays. Elle laissa sonner plusieurs fois et regardait autour d’elle pour trouver de l’aide. Heureusement, elle gardait son sang-froid. Il ne fallait surtout pas manipuler le type ou le masser comme dans les films. Dans le Sun , ils avaient expliqué que ça pouvait se retourner contre elle si
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