Le Temple Noir
dallage.
— Comment peux-tu boire pareil vin du diable ?
Guillaume tourna le robinet, rota à tous les vents, et se releva en riant.
— Toutes ces femmes m’ont rendu fou, si je ne bois pas pour oublier, je vais brûler vif.
Roncelin lui tendit sa gourde de genièvre.
— Bois. Avec tout l’or que les otages vont te rapporter, tu pourras étancher ta soif de plaisir dans tous les bordels de Jérusalem.
D’un revers de manche, Guillaume s’essuya la bouche. Ses yeux, déjà étroits, n’étaient plus qu’une fente où brillait un éclat noir comme du charbon de bois. Il se tourna vers la place où la population se réjouissait bruyamment.
— Chantez, dansez ! Le diable vous guette et l’enfer vous attend.
Le Provençal but à son tour. La nuit avait été longue et la fatigue pesait sur ses épaules. Dans ces moments précis, il se savait capable d’une erreur : moins enclin à réfléchir, plus prompt à réagir. Et ce n’était pas le moment.
— Où sont les autres otages ?
— Sous la garde des Syriaques. Ils traversent le quartier hébreu. Ils seront bientôt à l’entrée de la ville.
Le Provençal plissa les lèvres. Il observa la place en liesse. Autour d’une femme, la tête couverte d’un foulard rouge, une famille hurlait sa joie.
— Combien de femmes ont été libérées ? demanda Roncelin.
— Douze, elles portent toutes un foulard rouge comme tu l’as demandé.
Roncelin se raidit.
— Je n’ai rien exigé de la sorte.
Guillaume haussa les épaules.
— Le Devin nous a dit que c’était un de tes ordres.
Roncelin lui saisit le bras. Quelque chose clochait.
— Trouve-moi ce démon tout de suite !
Penché au-dessus du balustre, le visage du Devin devint de marbre. À ses côtés, le chef des archers fit un signe à ses hommes postés autour de la place.
— Tu es sûr de ton fait, sorcier ?
— Oui, oublie les ordres de Roncelin. Et ta part de butin sera plus que multipliée. Tue les femmes en rouge. Toutes.
15
West Cumbria, Angleterre
De nos jours
La nuit gagnait inexorablement du terrain sur les dernières terres anglaises, étendant son manteau de ténèbres vers l’ouest. Les ultimes clartés pâles s’estompaient dans le lointain, vers les côtes irlandaises. La mer prenait cette teinte métallique si particulière dans ce coin d’Angleterre, comme du plomb fondu strié de veinules noires. Étendue glacée et hostile.
Le Falcon 2000 bleu scintillant avait contourné Manchester et obliquait vers l’ouest, en approche sur l’aéroport de Carlisle. La tour de contrôle avait donné son accord pour une escale impromptue afin de refaire le plein, son altitude basse n’entraînait aucun risque de collision avec des vols commerciaux peu nombreux en cette saison. Le pilote jeta un œil dégoûté vers la mer, il détestait ce coin pourri et tout le Royaume-Uni en général.
Le commandant Delgado n’avait qu’un objectif : atterrir le plus rapidement possible, débarquer ses passagers antipathiques, faire le plein et redécoller pour Dublin où l’attendait le surlendemain des cadres de la même société en partance pour Londres. Avec un peu de chance, il finirait la nuit dans une boîte branchée du quartier de Temple Bar, en bonne compagnie. Il se redressa sur son siège et enclencha le bouton d’avertissement aux passagers.
Atterrissage dans cinq minutes. Angelsfly vous remercie de bien vouloir boucler votre ceinture.
Il passa en lumière restreinte. Le vol n’avait duré qu’à peine une heure et demie mais il s’était promis de demander une rallonge à la compagnie. Il avait perdu toute la journée à attendre ses deux clients sur le tarmac de l’aéroport du Bourget et, quand ils étaient arrivés, c’était tout juste s’ils lui avaient adressé la parole. En plus, ils avaient exigé qu’il n’y ait pas d’hôtesse, juste le pilote. L’homme et la femme s’étaient installés au fond de l’appareil et n’avaient pas décroché un mot pendant tout le vol. Pas le genre de clients dont il avait l’habitude, hommes d’affaires pressés, stars en goguette ou riches retraités. C’est surtout la femme qui ne lui revenait pas, elle était plutôt pas mal mais quelque chose dans son expression ne passait pas. Un regard froid. Dur. Le genre d’expression qu’on trouvait chez certains trafiquants, ceux qui affectionnaient l’affrètement de jets privés. L’année précédente, à Marbella, la douane était
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