Le Temple Noir
intervenue juste avant qu’un couple n’embarque avec une cargaison de gros pélicans en peluche remplis de cocaïne. Il avait passé trois jours dans un commissariat pourri de la banlieue de la ville avant d’être relâché.
Au Bourget, le représentant du département clients d’Angelsfly l’avait rassuré, le vol était réglé par un client régulier, une société de consultants d’Édimbourg qui envoyait ses conseillers dans toute l’Europe. Les passagers avaient passé la douane sans soucis, leurs valises rapidement examinées par des agents endormis. Par mesure de sécurité, dès le début du vol, Delgado avait ouvert le micro de sécurité qui permettait d’écouter les conversations des passagers, mais les deux clients n’avaient pas desserré les dents de tout le voyage.
Le commandant Delgado aperçut les lumières de la petite ville de Carlisle et entama la descente. L’avion vira sur l’aile gauche. Il avait passé une seule nuit dans sa vie en West Cumbria, cette partie aride d’Angleterre, au nord de Manchester, juste sous l’Écosse, et en avait gardé un souvenir douloureux à la tête, fruit d’une rixe dans un pub paumé. Il se félicita que la mission s’arrête là et de ne pas attendre les clients dans ce trou paumé. Les feux d’alignement du petit aéroport se dessinaient sur le sol. Dans la carlingue, les passagers bouclèrent leurs ceintures. Le plus jeune, la trentaine, le crâne rasé, le menton fort, déplia ses jambes et fit un petit signe interrogatif à la femme.
— La suite du programme ?
— Un hélicoptère attend à l’aéroport le transfert. Ça prendra à peine dix minutes, répondit la femme aux cheveux coupés très court qui consultait sa montre.
L’appareil se mit à vibrer doucement, le train d’atterrissage s’abaissait. Des hublots ils pouvaient distinguer la masse sombre et minérale du seul terminal en activité. L’avion se posa brutalement sur la piste, les passagers sursautèrent sur leur siège en cuir. Les deux réacteurs Pratt and Witney inversèrent leur poussée, le Falcon gronda et l’homme grimaça.
— J’ai connu un pilote à Port-au-Prince, qui faisait la liaison sur un Learjet pour des trafiquants dans les Caraïbes. Un Ukrainien avec un goitre, il s’amusait à faire vomir ses passagers pour se marrer.
— Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ?
— Notre commandant de bord a dû faire la même école de pilotage.
Le jet ralentit sa course et tourna vers l’unique couloir éclairé qui menait au terminal privé. Il roula jusqu’au bout de l’aérogare, guidé par un agent de sécurité, la tête en étau dans un casque orange. Delgado coupa les gaz et déconnecta la sécurité de l’escalier de débarquement. La température extérieure affichait 7 degrés.
Foutu pays .
Il enfila sa casquette bleue scintillante au logo de la compagnie, passa la veste réglementaire un peu ringarde à son goût avec les deux ailes d’ange blanches brodées sur les revers, et poussa la porte-cloison de la cabine. Il marqua un temps d’arrêt. Les clients étaient debout devant lui, à moins d’un mètre, habillés, prêts à sortir, comme s’ils avaient débouclé leurs ceintures de sécurité, bien avant le signal. L’un d’entre eux tenait un grand sac de toile noir. Ils le regardaient d’un air absent, comme s’il était invisible. Il s’avança en bombant le torse.
— Si vous voulez bien me laisser ouvrir le sas. Comme toutes les portes d’avion, elle a besoin d’une main humaine.
Le duo se plaqua contre le côté droit de la carlingue pendant que Delgado se baissait pour tirer une grosse poignée rouge. Un vent froid et humide le frappa au visage. Il frissonna en actionnant la commande de dépliage du petit escalier. Le couple passa rapidement devant lui sans le saluer alors qu’il débitait son speech sur son ton le plus mécanique.
— Angelsfly espère que vous avez fait un bon vol et sera ravi de vous accueillir à nouveau sur ses appareils.
Personne ne lui répondit. Les passagers s’éloignaient du jet en direction d’un hélicoptère noir, sans marque distinctive. Delgado leur fit un doigt d’honneur derrière son dos et murmura :
— Et j’espère que vous irez vous faire foutre, bande de connards.
Un camion-citerne se colla derrière la queue de l’appareil. Delgado descendit sur le tarmac et s’alluma une cigarette, geste interdit pendant le remplissage du kérosène mais il
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