Le Temple Noir
direction du dôme de la basilique. Antoine se passa la langue sur ses lèvres sèches, il avait soif. Un bon verre de rosé frais ne lui ferait pas de mal. En compagnie de Gabrielle. Au point où il en était, l’alcool l’aiderait à oublier l’échec annoncé de sa mission et le rapport qu’il devait pondre dans la soirée.
Des cris joyeux d’enfants s’échappaient en cascade du bâtiment en face de lui, de l’autre côté de la rue Lamarck. Il leva la tête et aperçut des groupes de gamins en train de courir dans une cour remplie de portiques de jeux. Au niveau du mur mitoyen, une porte s’ouvrit, laissant apparaître un homme avec une kippa sur la tête. Il avait une soixantaine d’années, les cheveux gris clairsemés, le visage fin et ridé, sa longue silhouette flottait dans une chemise blanche trop large pour lui. Au fur et à mesure qu’il s’approchait, Antoine distingua une sorte de matraque qui pendait de sa ceinture. L’homme se mit à son niveau et le regarda d’un air méfiant.
— J’ai entendu une ambulance. Que se passe-t-il ?
Antoine brandit sa carte de police sous le nez du type.
— On a évacué un blessé. Rien de grave.
L’homme se détendit légèrement.
— Ah. Si ce n’est que ça. Désolé, mais on n’est jamais trop prudent. Je fais mon métier.
— Vous travaillez à l’école en face ?
— Oui, je suis le gardien. Bonne journée.
L’homme fit demi-tour et trottina vers l’entrée de l’école. Perplexe, Antoine regarda sa kippa. Dans son souvenir, le port des symboles d’appartenance religieuse, cathos, musulmans ou juifs, était interdit dans les écoles. Il haussa les épaules, peut-être que la loi avait changé ou alors c’était une école privée, confessionnelle. Il allait prendre son portable pour prévenir Gabrielle de son retour quand soudain une idée lui traversa l’esprit. Il se leva, traversa la rue en courant et héla le gardien :
— Attendez. Une minute.
Le type était sur le point d’entrer dans l’école.
— Juste une question. C’est une école juive ?
— Vous êtes perspicace, jeta l’homme avec une pointe d’ironie. Oui, il y a une crèche aussi, qui dépend du centre israélite de Paris.
— Vous prenez des mesures de protection particulières, comme pour les synagogues ? Genre caméra de surveillance.
— Et comment. Depuis que ce ben zonah d’islamiste intégriste a tué nos enfants à Toulouse, toutes les écoles en sont pourvues.
Le visage de Marcas se fit grave. La tragédie du tueur à scooter l’avait bouleversé, comme toute la France. Il avait participé avec toute sa loge à la marche silencieuse interreligieuse de la Bastille, en mars dernier.
— Ben zonah ? interrogea Antoine.
— Fils de pute. J’aurais pu aussi dire Imahchemo , qui est la pire insulte. Ça veut dire : Que son nom soit effacé à jamais .
— Je cherche des ben zonah d’un autre genre et vous pouvez jouer le rôle du messie pour moi !
1 - Voir Lux Tenebrae , Fleuve Noir, 2010 ; Pocket, 2011.
18
Jérusalem
Maison de l’ordre du Temple
Soir de Toussaint 1232
Dans l’église retentissaient les chants des frères qui célébraient le culte des saints. Les voix puissantes faisaient vibrer les vitraux et résonnaient entre les quatre murs crénelés de torches de la cour. Un cheval avançait à pas lents, faisant tinter le fer de ses sabots sur les pavés. À ses côtés, les rênes enroulées autour du poignet, un homme, couvert de poussière, marchait tête baissée. Un chevalier qui sortait de l’écurie s’avança. Par réflexe, il posa sa main sur le pommeau de son épée avant d’interpeller l’inconnu.
— Sans doute cherches-tu quelqu’un, étranger ?
La voix, haut perchée, jaillit comme une dague hors du fourreau.
— On m’a déjà contrôlé.
Sans cesser d’avancer, le chevalier glissa un œil vers la porte. Les deux gardes, dans leur tunique immaculée, se tenaient droits, lance au poing, comme à la parade. Ni la réponse, ni ce qu’il venait de voir, ne le rassura. La Terre sainte était le lieu de toutes les ruses, de toutes les traîtrises. Qui pouvait affirmer que les gardes n’étaient pas des adversaires infiltrés, et ce miséreux, un fanatique prêt à commettre un assassinat ? D’autant plus que, depuis peu, l’ordre du Temple hésitait sur l’identité de ses véritables ennemis. Était-ce encore les musulmans avec lesquels la paix avait été signée ? Ou
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