Le Temple Noir
bien le chef des croisés, l’empereur Frédéric, que le pape avait excommunié ? Ou bien le Légat de ce dernier, ce renard pire que tout ?
Prêt à dégainer au moindre doute, le chevalier se rapprocha. Un détail le saisit : la manche de l’inconnu était souillée de sang. Lentement il fit glisser son épée.
— Rengaine ton arme, siffla la voix.
Sans relever la tête, l’inconnu ouvrit la paume de sa main. Le sceau du Temple apparut.
Gravé dans la chair.
Armand de Périgord ferma la fenêtre et revint s’asseoir près de la cheminée. Un feu commençait de flamber. La Toussaint, cette année, était déjà froide.
— C’était quoi ? interrogea l’Archiviste en levant ses yeux qui roulaient comme deux billes en pleine course.
— Rien, un de nos frères qui contrôlait un mendiant. Ils sont de plus en plus nombreux à quémander la charité.
L’Archiviste haussa les épaules. La réalité ne l’intéressait pas. Depuis son entrée chez les bénédictins, il n’était sorti qu’une fois de son monastère. Pour traverser la Méditerranée. Et il en gardait un souvenir si horrifié que, depuis son arrivée en Terre sainte, il refusait obstinément d’abandonner ses recherches et de sortir de la bibliothèque du Temple.
— C’est un vrai problème, continua Périgord en faisant rouler la molette de ses éperons. En tant que templier, je me dois d’assurer la sécurité des pèlerins, en tant que chrétien je me dois d’aider mes frères tombés dans la misère…
Les yeux follets de l’Archiviste marquèrent un temps d’arrêt. Les questions de théologie le passionnaient et son cerveau renfermait un vrai cimetière de citations, prêtes à ressusciter à chaque occasion.
— À propos de la pauvreté, le grand saint Augustin a dit…
Mais Armand de Périgord n’écoutait plus. Il avait été élu Grand Maître du Temple pour redorer l’image de l’Ordre, assombrie par les revers militaires des croisés. Homme de foi, il enrageait de ne pas pouvoir soulager la détresse de ses semblables, mais la règle ne se discutait pas : tout l’or amassé en Orient devait être systématiquement transféré en Occident. Là, des banquiers, qui travaillaient pour le Temple, achetaient des terres, investissaient dans le commerce, prêtaient à usure… Armand de Périgord secoua la tête. L’or corrompait tout. Heureusement, la sainte mission du Temple, elle, échappait au Mal.
L’inconnu avait refermé son poing. Sans ajouter un mot, il avait tendu les rênes de sa monture au chevalier confus. Il se dirigeait vers le fond de la cour où se tenaient les celliers. Plusieurs centaines de frères séjournaient à tour de rôle dans ces bâtiments à l’aspect sévère, élevés sur les fondations du Temple de Salomon. Jérusalem, ville ouverte, n’était pas sûre. À tout moment une émeute pouvait éclater ou une razzia des infidèles se produire, la forteresse du Temple était un des lieux les mieux protégés en cas de violence. Si la cité succombait à une attaque en règle ou à une révolte populaire, les frères pouvaient résister des mois à un siège. Voilà pourquoi des celliers, vastes et profonds, s’étendaient sous toute la citadelle. Arrivé en haut des marches, l’inconnu leva les yeux et s’arrêta. Devant lui, s’étendait une forêt de colonnes, chacune éclairée par une rangée circulaire de torches. L’impression était saisissante : on avait l’impression d’entrer dans un bois enchanté. Trois nefs se partageaient l’espace, chacune dévolue à un usage particulier. À gauche se dressaient les réserves de nourriture : jarres lourdes d’huile, tonneaux de saumure, caisses scellées de poisson fumé ou bocaux pansus de viande séchée. À droite débutait l’armurerie. Sur de longues tables en planches de cèdre, voisinaient gantelets, éperons, hauberts et cottes de mailles tandis que, sur des râteliers de bois noir s’alignaient, à perte de vue, épées de taille, dagues effilées, lances et masses d’armes. Dans la nef principale, un damier de pierres blanches et noires marquait l’emplacement de la citerne souterraine. Au centre se dressait une entrée protégée par une porte cloutée. L’inconnu contourna le damier et fit jouer la serrure. Un escalier à vis apparut, qui se perdait dans les profondeurs. Un pas se fit entendre et un templier, une épée nue à la main, surgit sur le palier. Un sourire se glissa dans sa barbe
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