Le Temple Noir
Rappelle-moi.
Il se glissa dans ses draps, triste et amer. Un sommeil sans rêve le submergea.
La nuit s’était écoulée sans que Gabrielle le rappelle. À la gare du Nord, ses collègues de l’air et des frontières lui avaient remis un billet en classe affaires et une enveloppe épaisse, à en-tête du ministère de l’Intérieur. Privilège du métier. On lui avait épargné les contrôles de papiers et la file d’attente au détecteur. Le DGPN était passé par là.
Il eut juste le temps d’avaler un café dans l’espace business premier et de parcourir les titres des quotidiens du matin avant de grimper à bord du train. Dix ans qu’il n’avait pas pris l’Eurostar et fait un saut à Londres, il aurait dû être excité, mais l’absence de réponse de sa compagne l’irritait toujours.
Juste avant de s’asseoir, il appela Gabrielle et n’eut que le répondeur. À nouveau, il laissa un message, plus enflammé que le premier. Il lui promettait de revenir très vite et de repartir avec elle, n’importe où. Et qu’elle était la femme de sa vie.
Il s’installa sur son siège moelleux et jeta un œil aux autres voyageurs, des hommes d’affaires matinaux, déjà occupés à pianoter sur leurs ordinateurs. Le train s’ébranla doucement et une douce torpeur l’envahit. Le luxe avait parfois du bon. Une hôtesse souriante, qui ressemblait à s’y méprendre à Charlize Theron, lui déposa la carte du petit déjeuner. Il avait l’impression d’être dans un avion, mais sans les inconvénients. Il pouvait même étendre ses grandes jambes. L’irritation s’estompa à mesure que l’Eurostar gagnait en vitesse. Qu’il était loin le temps où, plus jeune, il prenait le ferry à Calais pour traverser la Manche avec ses potes. Il n’en gardait aucune nostalgie, huit heures de voyage en comptant le bus, et l’estomac dans les talons jusqu’à Londres. Désormais, en deux heures et quelques poussières, il était au cœur de la capitale londonienne, sans l’option mal de mer.
God save the Queen et Eurotunnel , murmura-t-il en avalant ses tartines croustillantes.
Il termina son petit déjeuner et ouvrit l’enveloppe. Elle contenait les photos des tueurs obtenues par la caméra de l’école juive, et un plan de vol du jet. Il parcourut les documents avec lassitude ; au final, il n’avait comme seul indice que l’improbable arrêt à Carlisle.
C’était plus que maigre. Squelettique.
Le paysage plat et monotone du Pas-de-Calais défilait devant lui et son irritation grandissait à nouveau. Il n’avait aucune habilitation à mener une enquête sur le sol anglais. C’était foireux, tout simplement. Comme le départ de Gabrielle, la veille. Il ne pouvait même pas imaginer une rupture, tant elle avait pris une place capitale dans sa vie.
Son humeur redevint aussi sombre que le tunnel sous la Manche dans lequel s’engouffra l’Eurostar. Il allait débarquer à Londres, ronchon et bourré de caféine, tant pis pour le représentant de l’ambassade de France qui devait le récupérer, il ne ferait aucun effort pour se rendre sympathique.
Au bout de vingt minutes, l’Eurostar sortit du tunnel et fila à travers la campagne anglaise, verte et humide. La petite plage de Tennessee Williams, à Key West, n’était plus qu’un souvenir lointain. Il jeta un œil sur son portable qui recherchait les réseaux anglais disponibles, peut-être que Gabrielle lui avait laissé un message pendant la traversée du tunnel.
Le téléphone vibra, l’icône de SMS clignota. Fébrile, il cliqua sur elle et déchanta : le message n’était pas envoyé par Gabrielle. Ça venait du frère obèse.
Mon TCF. Vais te transmettre les coordonnées d’un frère de la Grande Loge d’Angleterre, un ancien du Yard. Il t’aidera. Je lui ai rendu des services. Je vais mieux, si ça t’intéresse.
Le message lui arracha un demi-sourire. Il imaginait le gros frère en train de se morfondre sur son lit d’hôpital et de mener la vie dure aux infirmières. Il relut le message avec attention, c’était tout juste s’il ne lui faisait pas une crise parce qu’il n’avait pas pris de ses nouvelles. Ça le rendait humain.
En revanche, la proposition d’aide d’un membre de la fraternité anglaise le laissait songeur. Le Grand Orient, l’obédience de Marcas, laïque et républicaine, n’était pas reconnue à Londres où l’on se méfiait grandement de ces frères grenouilles. Antoine n’était pas
Weitere Kostenlose Bücher