Le templier déchu
identité, renchérit Jean tout en se penchant pour attraper le tisonnier.
Ce simple mouvement lui arracha une grimace de douleur. Sa côte fêlée, résultat des mauvais traitements endurés durant sa captivité, le faisait encore bigrement souffrir.
Agacé, Richard lui prit le tisonnier des mains et lui ordonna de se tenir tranquille, sous peine de déplacer ses bandages de contention.
— Tu ne peux pas nous accompagner à Dunleavy, mon ami, fit remarquer Alexandre. Ce ne serait pas raisonnable. Et puis, tu as assez souffert par ma faute.
Avec un petit rire moqueur, Jean rétorqua :
— Ne va pas imaginer une seconde que je vous laisserai mener ce combat sans moi ! Nous sommes encore Templiers – certains n’en ayant conservé que l’esprit, je l’admets, fit-il en jetant un regard à ses compagnons désormais mariés ou ayant une amante, comme Alexandre. Et nous nous battrons toujours pour le triomphe de la justice et la gloire de Dieu. Et que cette fois ce soit toi , Alexandre, qui aies trouvé la juste cause à défendre n’y change rien.
L’étincelle familière s’était allumée dans les yeux de Jean et son visage respirait l’amitié qu’il s’obstinait à vouer à Alexandre.
Celui-ci eut un rire désabusé.
— Étant donné mon passé, ce que tu dis là est fort généreux. Je me permets de te rappeler qu’au moment où les arrestations massives ont commencé, nous débarquions de Chypre, que j’étais enchaîné et que vous m’escortiez tous afin que je comparaisse devant le grand maître Jacques de Molay. Mon histoire en tant que chevalier de l’ordre du Temple n’a rien de glorieux, je le crains.
— Quelle importance aujourd’hui ? intervint Richard. Tes fautes contre l’Ordre ne sont rien comparées à celles commises par ceux-là mêmes pour qui nous nous battions, et qui nous ont traités d’hérétiques. Tu n’as peut-être pas réussi à respecter tes vœux sacrés, mais tu es demeuré fidèle à l’Ordre sur le champ de bataille, Alexandre... tout comme tu es demeuré fidèle à tes amis.
Alexandre secoua la tête, en proie à une émotion singulière dont il ignorait qu’il pût la ressentir. Ces hommes étaient si profondément bons et intègres qu’il n’avait jamais osé se considérer comme leur égal.
Et voilà soudain qu’il se rendait compte que, peut-être, il n’était pas aussi dépourvu de valeur qu’il le croyait... et que ses amis ne lui avaient jamais autant reproché ses erreurs qu’il se les était reprochées à lui-même. Ils l’acceptaient tel qu’il était, avec ses imperfections, sans le juger.
— Dieu sait que je ne mérite pas votre amitié, commença-t-il. Mais...
Il s’interrompit, ému, se racla la gorge avant de reprendre :
— Mais elle me touche profondément, et je vous en suis très reconnaissant. Bien plus que je ne saurais l’exprimer.
Après cet aveu, un silence poignant retomba entre les quatre hommes, et fut finalement brisé par Damien.
— Tu te rends compte, j’espère, qu’aucun de nous ne te tendrait la main aujourd’hui si tu n’avais pas ramené ces parchemins inestimables que tu as emportés avec le ciboire ? lança-t-il du ton de la plaisanterie, soucieux de détendre l’atmosphère. Si tu les avais vendus ou abandonnés au comte d’Exford, tu te serais débrouillé seul pour sauver ta châtelaine !
— Ça c’est vrai ! opina Richard en riant.
— On n’aurait pas levé le petit doigt ! renchérit Jean.
— Et je l’aurais amplement mérité, admit Alexandre en riant à son tour.
Retrouvant son sérieux, Damien regarda son frère avec affection et déclara :
— Souviens-toi juste que nous nous serrons tous les coudes. Et advienne que pourra, conclut-il.
Après avoir cité la devise que les Templiers prononçaient avant chaque bataille, il leva son gobelet. Richard et Jean l’imitèrent, de même qu’Alexandre, qui hésita à peine. Tout à coup, le lien qui les unissait devenait presque palpable et, pour la première fois, il sentit qu’il faisait vraiment partie de leur groupe, de manière tout à fait légitime.
Ce sentiment d’appartenance gonfla en lui, le réchauffant et lui insufflant une vigueur nouvelle. Ces guerriers intrépides étaient aussi ses amis, à la vie à la mort. Et ils comptaient l’aider à secourir la femme qu’il aimait.
Il hocha la tête, trop bouleversé pour articuler une parole. Ce fut Jean qui se chargea de dire à voix haute ce que tous
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