Le templier déchu
Eléonore, l’une des lingères, l’a dit à Isabelle, qui apporte le lait au château tous les matins, et celle-ci me l’a répété ensuite.
Comme Elizabeth fronçait les sourcils, Annabelle enchaîna :
— Eléonore est la bonne amie de Gérard, le palefrenier qui a préparé la monture d’Aubert cet après-midi. Ce Gérard l’a entendu dire à l’un des officiers de la garnison où il allait et pourquoi.
Elle pressa la main de sa maîtresse avant d’ajouter :
— Il a l’intention de révéler à lord Lennox ce qui s’est passé avec lord Marst... je veux dire avec messire Alexandre de Ashby, se reprit-elle en rougissant. Aubert vous croit désormais inapte à vous occuper seule du domaine.
Elizabeth laissa échapper quelques jurons indignes d’une noble dame puis, lâchant Annabelle, elle gagna la fenêtre qu’elle ouvrit.
Tout semblait normal. Le soleil d’automne caressait de ses rayons l’étendue de terre recouverte d’une épaisse couche de sciure mêlée d’herbe sur laquelle les soldats s’entraînaient chaque jour à l’épée et au bouclier. Quelques cochons et poules musardaient près des cuisines, des soldats et des domestiques croisaient les marchands et villageois venus de l’extérieur. Rien n’indiquait que là, sous leur nez, les graines de la trahison venaient d’être semées.
Elizabeth tombait des nues, et s’en voulait de n’avoir pas été plus vigilante. Elle aurait dû se douter qu’une telle chose arriverait. Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas l’intention de baisser les bras. Pour le moins, cette nouvelle, en lui rendant sa combativité, achevait de dissiper le brouillard dans lequel elle semblait baigner depuis le départ d’Alexandre.
Elle était dame Elizabeth de Selkirk. C’était elle qui commandait ce château. Seule. Alexandre était parti et ne reviendrait pas.
Pivotant sur ses talons pour faire face à Annabelle, elle demanda :
— Cet homme à qui Aubert a parlé dans les écuries... était-ce le capitaine des gardes ?
— Non, madame. C’était un de ses lieutenants... messire Reginald, je crois.
Elizabeth serra le poing.
— Très bien. Alors fais prévenir messire Garin que je souhaite m’entretenir avec lui. Immédiatement.
Annabelle esquissa une révérence, puis s’esquiva. Demeurée seule, Elizabeth entreprit de ramasser les parchemins tout en songeant à l’attaque imminente qui s’annonçait.
Il n’était pas exclu que Dunleavy soit assiégé en même temps par deux ennemis, au sud les Anglais, menés par le comte d’Exford, et au nord le comte de Lennox à la tête de son clan, l’un comme l’autre ayant pour but de s’approprier le domaine, mais un seul rêvant d’obtenir la châtelaine en sus.
Fébrile, Elizabeth fouilla parmi les documents qu’elle venait de ramasser, à la recherche de ceux susceptibles de l’aider à dresser un plan de bataille avec messire Garin.
Car de ce noir chaos où la tromperie se mêlait à la perfidie, une pensée émergeait : elle ne plierait l’échine devant personne.
Alexandre était assis devant un bon feu, dans la salle commune du manoir de messire Gilbert Sinclair, en compagnie de son frère et des deux meilleurs amis qu’il eût jamais eus.
Gilbert s’était retiré pour la nuit, mais avait incité les quatre hommes à prendre le temps de se retrouver en toute tranquillité.
Alexandre était rassasié, il avait chaud, ses vêtements étaient secs et, pour la première fois depuis six mois, il ne courait pas de danger imminent.
Il aurait dû être heureux de son sort, ou du moins satisfait, or, il se sentait plus misérable que jamais. À cause d’Elizabeth. Il rêvait d’être auprès d’elle, de la réconforter, de la protéger. En ce moment même et non pas demain, lorsque Richard, Damien, Jean et les autres Templiers qui avaient promis de se joindre à eux feraient route vers Dunleavy Castle.
— Si j’en juge par ce que tu nous as raconté, dame Elizabeth est une femme de caractère, observa Richard d’un ton qui se voulait encourageant. Et si elle a su mettre en déroute l’armée de ce comte écossais qui assiégeait son château, il est évident qu’elle est aussi pleine de ressources et astucieuse.
— Elle l’est, en effet, acquiesça Alexandre, le regard rivé à sa timbale de bière.
— Elle semble également très généreuse, puisqu’elle t’a traité avec compréhension même après que tu lui as révélé ta véritable
Weitere Kostenlose Bücher