Le templier déchu
ce n’était que dévastation et visions d’épouvante.
Ce n’était pas la première fois qu’elle vivait cela. Non, ce siège ressemblait en tout point aux précédents, et cela ne fit qu’accroître sa fureur.
Refusant de rester dans la zone abritée qui lui offrait une sécurité relative, elle sortit à découvert.
Aussitôt, Annabelle se précipita à sa suite et tenta de la retenir par la manche, la suppliant de retourner à l’abri. Sans l’écouter, Elizabeth continua de se frayer un chemin parmi les hommes hurlant, les corps ensanglantés et les débris qui tombaient encore du ciel. Elle n’avait qu’une idée en tête : rejoindre le chemin de ronde pour voir l’armée ennemie.
Au passage, elle s’arrêta près d’une charrette prévue pour entasser les blessés qu’on emporterait dans la grande salle transformée en infirmerie de fortune. À l’arrière se trouvaient un tas de vieux chiffons destinés à finir en charpie. Elle en extirpa un grand rectangle pourpre.
Ce matin-là, elle avait enfilé une robe de la même couleur, choix judicieux dont elle se félicitait à présent. Car une fois sur le chemin de ronde, elle se dresserait de toute sa taille derrière le parapet. Dans cette toilette si visible, les soldats anglais ne pourraient faire autrement que de la voir et de la reconnaître. Et chaque fois qu’un boulet serait tiré contre les murs, avec tout le mépris dont elle était capable, elle se mettrait à épousseter les créneaux, pour bien montrer à ces chiens d’Anglais qu’ils ne lui faisaient pas peur !
Elle s’était déjà engagée dans l’escalier et le gravissait d’un pas vif quand elle perçut un brusque changement autour d’elle.
Les soldats postés derrière les créneaux s’étaient figés. Et le ciel ne vomissait plus sa pluie de flèches enflammées. Bouche bée, les hommes semblaient regarder quelque chose dans le lointain. Messire Garin lui-même s’était pétrifié à côté du héraut qui ponctuait chacun de ses ordres d’un coup de trompette.
Trébuchant dans sa hâte, Elizabeth acheva de grimper la volée de marches pour rejoindre le capitaine, indifférente à la suie et aux cendres qui tourbillonnaient autour d’elle.
Le temps semblait s’être arrêté. Les hommes retenaient leur souffle et, en contrebas, l’armée anglaise paraissait faire de même. Jamais, au cours de toutes les batailles dont elle avait été témoin, Elizabeth n’avait vécu cela.
— Mais que se passe-t-il ? demanda-t-elle à l’homme le plus proche, qui se trouvait être le héraut.
Sans un mot, celui-ci désigna la colline à la droite des positions anglaises. Elizabeth suivit du regard la direction indiquée... et sentit le cœur lui manquer.
Doux Jésus, ce n’était pas possible...
Elle rêvait !
— Cet imbécile est revenu, marmonna messire Garin d’un ton où l’incrédulité le disputait à l’admiration. Et il a ramené de la compagnie.
Les yeux rivés sur cette vision improbable, Elizabeth oscillait entre joie, terreur et stupéfaction. Juché sur un magnifique destrier, Alexandre se tenait à la tête d’une troupe d’une quarantaine de Templiers qui galopaient à bride abattue, soulevant un nuage de poussière dans leur sillage.
— Seigneur tout-puissant! murmura-t-elle, incapable de détourner les yeux d’Alexandre.
Elle l’aurait reconnu entre mille, même s’il n’avait pas arboré la tunique immaculée sur laquelle figurait la croix écarlate si aisément identifiable. Il avait un tel air d’autorité ! Une puissance incroyable émanait de sa personne.
Derrière lui, deux chevaliers brandissaient l’étendard noir et blanc, emblème de leur confrérie, que les Templiers appelaient le Beauséant. Dans le silence qui s’était abattu parmi les rangs anglais et les défenseurs de Dunleavy, on l’entendait claquer au vent.
— Je ne peux pas croire que ce soit lui, réussit-elle enfin à articuler, le cœur gonflé d’amour et de reconnaissance.
Au prix d’un effort immense, elle parvint à détacher le regard de sa silhouette pour inspecter les rangs de l’armée anglaise. Plusieurs petits groupes avaient commencé à se déplacer, sans unité aucune. Rapidement, ce fut la déroute. Les soldats anglais abandonnaient leur poste et prenaient la fuite à la vue de ces chevaliers légendaires, guerriers réputés les mieux entraînés au monde.
Ce n’était un secret pour personne que les Templiers
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