Le temps des illusions
l’Angleterre conclue non sans mal parDubois ne ferait plus long feu.
Alors qu’on s’interrogeait sur les conséquences de cette probable rupture, le 29 octobre 1740, l’annonce de la mort subite de l’empereur accrut les tensions. La pragmatique sanction reconnue par les souverains européens et qui fait de l’archiduchesseMarie-Thérèse le successeur de son père risque bien de passer pour un chiffon de papier. Une jeune femme sans expérience à la tête d’un État aussi puissant attisera les convoitises de ses voisins tant l’héritage du dernier Habsbourg est complexe. Les couronnes héréditaires de la dynastie comprennent les duchés de haute et de basse Autriche, le royaume de Bohême et celui de Hongrie ; en outre la couronne du Saint Empire romain germanique, en principe élective, est détenue depuis le xvi e siècle par les Habsbourg, de père en fils ou d’oncle en neveu. On imagine mal qu’une femme puisse la ceindre et même l’idée que ce puisse être son époux, François Étienne deLorraine, ne manquera pas de révolter la plupart des princes du Saint Empire.
Depuis la mort deLouis XIV, leRégent etDubois, ensuiteLouis XV etFleury se sont efforcés de préserver la paix. Le souverain français est prudent comme son mentor. « Je ne veux pas dans cette circonstance-ci, me mêler de rien, dit-il ; je demeurerai les mains dans les poches à moins que l’on ne voulût élire un protestant empereur. » Peu de temps après, il ajouta : « Nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de rester sur le mont Pagnote. » (Sur cette butte de la forêt d’Halatte, le roi et ses proches ont l’habitude de regarder la curée.) Aurait-il l’intention d’assister à la curée de l’Empire sans intervenir ? À Versailles, un parti belliciste s’est formé. Un conflit armé ne déplairait pas aux gentilshommes français qui ne se sont pas illustrés sur les champs debataille depuis longtemps. Ces messieurs parlent haut, surtout le comte de Belle-Isle qui tient des discours d’un autre temps en répétant que l’Autriche est l’ennemie héréditaire de la France.
Louis XV a commencé par rassurer l’ambassadeur d’Autriche en France et il a envoyé une lettre de condoléances émues àMarie-Thérèse. Le roi et lecardinal déclarent qu’ils respecteront la pragmatique sanction. Tollé général à la Cour.Louis XV et Fleury sont taxés de pusillanimité et le comte deBelle-Isle s’affirme comme le chef du parti antiautrichien. Amelot deChaillou, le ministre des Affaires étrangères, ainsi queMaurepas, ministre de la Maison du roi, soutiennent les partisans de la guerre. L’occasion est trop belle pour abaisser la maison de Habsbourg. D’ailleurs plusieurs princes ont déjà déclaré qu’ils ne reconnaissent pas la pragmatique sanction.L’Électeur de Saxe et roi de Pologne, l’Électeur deBavière, le roi dePrusse, le roi deSardaigne et le roi d’Espagne revendiquent follement la succession entière deCharles VI. Ce ne sont là que rodomontades, mais ils espèrent tous obtenir une part de l’empire des Habsbourg : Auguste de Saxe veut la Moravie, Charles-Albert de Bavière la Bohême, Charles-Emmanuel de Savoie, le Milanais et Philippe V, Parme et Plaisance pour son fils don Philippe !
Louis XV a évité le piège. Il accepte que Marie-Thérèse règne sur les États héréditaires des Habsbourg, mais il souhaite que la couronne impériale revienne àCharles-Albert de Bavière. Il ne revendique rien pour la France, tout en convoitant les Pays-Bas autrichiens, car il pressent qu’un conflit armé sera bientôt inévitable. Il envoie le comte de Belle-Isle en qualité d’ambassadeur à Francfort, où doit avoir lieu l’élection impériale. PourLouis XV, c’est une manière de gagner du temps avec le parti de la guerre.
Alors que les représentants de la diète ne s’étaient pas encore réunis à Francfort, Frédéric dePrusse, installé sur son trône depuis à peine six mois, et qu’on prenait pour un prince philosophe et ami des belles-lettres, s’est révélé d’un seul coup comme un chef d’armée : le 16 décembre il a envahi la Silésie sans déclaration de guerre à celle qu’on appelle « la reine de Bohême et de Hongrie ». Les Prussiens occupent la Silésie. On ne sait jusqu’où cette promenade militaire victorieuse entraînera l’Europe.
1 - D’Argenson, Journal , op. cit. , t. I, p. 318-319.
2 - Luynes, Mémoires ,
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