Le temps des illusions
et pris Wissembourg. Quelques éclaireurs étaient même arrivés aux environs de Strasbourg. À la grande surprise de Noailles, pendant la nuit du 23 août, les Autrichiens repassèrent le Rhin : ils volaient au secours de Vienne.Frédéric II avait envahi la Bohême et marchait vers l’Autriche. Lemaréchal de Noailles, qui n’avait pas compris la manœuvre du prince Charles, laissa filer les troupes ennemies qu’il aurait pu aisément poursuivre et peut-être même battre. Il attaqua seulement l’arrière-garde sacrifiée par le général autrichien. Si la menace d’invasion ne pesait plus sur la France, ce n’était pas grâce à l’armée. Le roi et les Français frustrés d’une victoire accablèrent Noailles et lorsqu’il vint à Metz le 4 septembre,Louis XV le reçut froidement.
Rétabli, le roi voulut achever la campagne d’Alsace avec le maréchal de Coigny. Noailles ayant demandé au souverain s’il pouvait le suivre s’entendit répondre : « Comme vous voudrez. » À la reine qui souhaitait l’accompagner, il dit froidement : « Ce n’est pas la peine. » Il l’envoya avec le dauphin à Lunéville chezStanislas où il les rejoignit quelques jours plus tard. Il s’y montra d’une humeur maussade et partit sans dire au revoir à la reineCatherine Opalinska qui en fut mortifiée.Marie pleura et s’en retourna avecson fils comme le lui avait ordonné son époux. Sa tristesse était encore aggravée par l’annonce de la mort deMadame Sixième à Fontevrault.
La campagne menée par le roi fut victorieuse. Après la prise de Fribourg, le 6 novembre,Louis XV revint à Paris qui lui préparait un véritable triomphe. Vers Bercy, S.M. monta dans un carrosse pour faire son entrée par la porte Saint-Antoine entre deux rangées de soldats et de gardes suisses. Malgré la pluie, les rues étaient décorées et illuminées. Le roi arriva au Louvre à sept heures ; le dauphin l’attendait au bas de l’escalier, la reine et les princesses dans l’antichambre de l’appartement royal rempli de monde : il y avait là les ministres, les principaux magistrats et une foule de courtisans. Le roi ne s’attarda guère auprès d’eux et s’enferma dans son cabinet avecM. de Maurepas.
Le lendemain, les cérémonies commencèrent par une messe solennelle à Notre-Dame en présence de la famille royale et de la maison royale, ce qui est fort rare. Le souverain, dans un habit de velours brun brodé d’or, et la reine, dans un grand habit garni de réseaux d’or, occupaient le milieu du chœur sous un même dais. Le soir au Louvre, la reine donna un concert où étaient invités les bourgeois de Paris, tout de noir vêtus. Le dimanche 15 novembre les souverains dînèrent à l’Hôtel de Ville dans la grande salle tendue de damas cramoisi garni de franges d’or. Sur la place de Grève s’élevait un immense arc de triomphe couvert de toile peinte surmonté par un char de bois blanc où figurait un roi de carton couronné par la Victoire. Plus bas vers le fleuve, des flots de vin coulaient d’une fontaine. Le roi dîna et soupa au milieu de deux cents personnes à l’Hôtel de Ville pendant que jouaient quarante musiciens. Le soir, il y avait tant de monde dans les rues qu’on ne pouvait plus avancer ni reculer. Les toits des maisons étaient couverts de curieux et les arbres ployaient sous le poids des spectateurs. Trois jours durant les fêtes se poursuivirent. C’étaient celles du peuple dit l’avocatBarbier. Les Parisiens contemplaient avec délice ce roi de trente-quatre ans beau comme Apollon. Sa marche lente et majestueuse permettait de l’admirer dans toute la pompe royale. Presque partout on pouvait lire sur les murs de la capitale : « Vive Louis le Bien-Aimé. »
Mme deChâteauroux sortit de son hôtel pour jouir de ce triomphe. « Mon tremblement et mon agitation ne peuvent se décrire, écrivit-elle àRichelieu. Je n’osais paraître. On est si cruel à mon égard que toute espèce de démarche aurait paru un crime. Croyez-vous qu’il m’aime encore ? Non. Vous me faites assez entendre qu’il ne faut pas compter sur son retour… Je n’ai pu résister au désir de le voir. J’étais condamnée à la retraite et à la douleur, pendant que tout le monde se livrait à la joie. J’ai voulu en avoir au moins le spectacle ; je me suis mise de manière à ne pas être reconnue. Je l’ai vu ! Il avait l’air joyeux et attendri. Il est donc capable d’un
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