Le temps des illusions
à se confesser.
Plusieurs fois par jour, le roi était tenu au courant de l’évolution de son mal. Très abattu, il renonça à la chasse ; il ne dîna pas en grand couvert. On ne le vit qu’à la messe. Le 5 au matin les nouvelles étant meilleures, il retrouva un certain allant ; il faisait dire des messes à la paroisse de Versailles pour demander la guérison de Mme de Châteauroux. Le 7, la duchesse étant tombée dans un douloureux état d’inconscience, il partit pour La Muette où il demeura avec quelques intimes, lemarquis de Meuse, les ducs d’Ayen, deLuxembourg, deLa Vallière et lemarquis de Gontaut. Le 8 décembre au matin, sa maîtresse rendit le dernier soupir. Louis est inconsolable.
À Versailles, la pieuse reine respecte la douleur de son époux. La violence et la soudaineté de la mort de Mme de Châteauroux ont jeté quelque effroi. Comme d’habitude à l’occasion d’un décès foudroyant on a parlé de poison. Les uns y croient, d’autres en doutent, mais on ne pleure guère cette favorite qui n’était pas aimée. D’aucuns se réjouissent même de sa disparition. À la Cour les morts ont toujours tort. On les oublie d’autant plus vite qu’ils laissent une place vacante et celle de maîtresse royale est la plus convoitée. Que ne ferait-on pas pour être aimée du monarque ?
En ces journées de l’Avent, le roi est tout à sa douleur. La mort deMme de Châteauroux ravive d’anciennes blessures. Seuls ses proches qui ne le quittent pas lui apportent quelque réconfort. Le 13 décembre, il s’est installé à Trianon où il pourra tenir Conseil. Le surlendemain de son arrivée, la nouvelle de la mort deMaman Ventadour l’accable encore davantage. Des heures moroses se succèdent. Un profond ennui règne à la Cour, lescourtisans suivant toujours l’humeur du maître. Aussi vont-ils se distraire dans la capitale.
La Cour et la Ville
Ô paradoxe ! La Cour est devenue le monde où l’on s’ennuie. « Tout le monde la déteste, mais tout le monde en fait son paradis », soupire lemarquis d’Argenson. Qui ne voudrait pas en être ? Elle attire comme un aimant le gentilhomme de province qui n’a pas les moyens d’y parvenir et la snobe au nom d’une tradition où la morale l’emporte sur la frivolité. Le parvenu de la finance se flatte d’y accéder par ses alliances avec la noblesse. Elle fascine le bourgeois qui peut entrer dans le château à condition de porter une épée au côté. Simple spectateur, il admire LL. MM. lorsqu’elles dînent en grand couvert et il rentre chez lui émerveillé par la beauté des lieux ou choqué par tant de munificence. L’un rêve que ses enfants graviront les échelons de la société et accéderont à ce monde magique. Un autre espère confusément quelques bouleversements établissant plus d’égalité entre les Français… La Cour est l’objet de conversations, de spéculations, d’espoirs, de convoitises, de mépris, et aussi le lieu du pouvoir, de l’intrigue, des rivalités, de l’élégance et du bon ton.
Quatre lieues séparent Versailles de Paris ; cette course dure deux heures, mais on a l’impression d’avoir fait un grand voyage. Si dans ce court trajet on passait la frontière d’un État, les différences n’étonneraient personne. « On ne sait plus le pays dont on est, ni celui où l’on se trouve », prétend laduchesse d’Aiguillon. D’ailleurs les courtisans ne sont plus les mêmes à Versailles et à Paris. À cela Mme d’Aiguillon répond qu’on est courtisan près du roi où l’on intrigue et homme ou femme du monde dans la capitale où l’on s’amuse. Certes, mais on peut soutenir le contraire. Lecomte de Flamarens, qui a connu le temps du feu roi, raconte que dans sa jeunesse les différences entre la Cour et la Ville étaient beaucoup plus marquées qu’elles ne le sont au milieu de ce siècle. Les ministres ne quittaient pas le roi sans congé. Les grands officiers de la Couronne ne s’absentaient pas non plus sans permission. Les détenteurs de charge restaient à Versailles. Les chefs de famille vivaient sous les yeuxde S.M. Versailles était leur pays. Il n’y avait, dit-il, de grandeur, de politesse, d’esprit, de plaisirs qu’à la Cour. Le maître donnait le ton.
Louis XIVvivait en perpétuelle représentation. Sa journée suivait un rituel immuable réglé comme une mécanique dont les rouages ne devaient jamais s’arrêter. Aussi en quelque lieu que l’on
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