Le temps des illusions
projet résolu avec lemaréchal de Noailles est resté secret, mais la Cour se doute des intentions de S.M. Le 26 avril,la reine a remis une lettre à son époux pour lui manifester son désir de l’accompagner. Louis lui a répondu qu’il préférait qu’elle reste à Versailles. Ce n’est pas, lui dit-il, le moment de faire des dépenses inconsidérées… pour ne pas dire inutiles !
Les jours suivants se passèrent comme à l’accoutumée. On se demandait si le monarque avait bien le désir de partir. Le 2 mai, il signa un certain nombre de pièces concernant la tenue des Conseils. La cérémonie du coucher se déroula selon le rituel habituel, mais le souverain ne se coucha pas ; il se rendit à la chapelle accompagné parMgr de Fitz-James, son aumônier. Après s’être recueilli, il descendit dans la cour et monta dans un carrosse à trois heures du matin. Il entendit la messe à La Muette et repartit à bride abattue vers Péronne où il arriva le soir même. Le lendemain il s’arrêta pour prier à la cathédrale de Cambrai et s’installa chezM. de Machault à Valenciennes.
La nouvelle de son arrivée a galvanisé les troupes. Il est d’une gaieté qu’on ne lui a jamais vue. Il a visité les places voisines de Valenciennes : Douai, Le Quesnoy, Condé, Maubeuge. Il a parlé aux officiers, mangé le pain des soldats ; il est allé dans les magasins et dans les hôpitaux s’entretenir avec les malades et goûter leur bouillon. Il veut tout savoir, tout comprendre, tout connaître. Le 13 mai, il est à Lille.
Le roi avait répété aumaréchal de Noailles qu’il ne voulait pas que sa présence entraînât trop de frais. C’était compter sans la volonté deMme de La Tournelle. Suivant les conseils deRichelieu qui l’avait bien endoctrinée, la jeune femme avait beaucoup insisté auprès de son amant pour qu’il prît la tête de l’armée comme l’avait fait naguère Louis XIV. Cependant, elle ne voulait pas se morfondre à Versailles auprès de la tristeMarie pendant que le roi se pavanait devant ses troupes. Escortée parMme de Lauraguais,Mme de Modène, ainsi que par laprincesse de Conti et la nouvelleduchesse de Chartres, elle rejoignit le roi à Lille. À chaque étape, ces dames furent mal reçues. On blâmaitLouis XV de laisser la reine à Versailles et d’accueillir sa favorite sur le front des troupes alors que les officiers avaient quitté leur famille et leurs maîtresses pour le servir. Cette irruption de folâtreries au milieu des bivouacs choqua l’armée. À Lille, il fallut aménagerla demeure du roi pour sa maîtresse : il y eut des petits soupers comme à Versailles.
Heureusement les victoires se succèdent. Le 4 juin, on a célébré la prise de Menin. Le 25 juin, Ypres s’est rendu après un siège de quelques jours. Le 26, on a attaqué le fort de Knocke et mis le siège devant Furnes. Le 12 juillet, un Te Deum est célébré à Notre-Dame de Paris pour la prise d’Ypres. On a appris quedon Philippe, le gendre du roi, et leprince de Conti s’étaient emparés de Nice, ainsi que du Mont-Alban et de Villefranche. Des feux de joie brûlent à Paris. Il y a longtemps qu’on n’a pas connu une telle effervescence. Hélas ! une fois encore le vent tourne. Des menaces pesant sur la frontière de l’Est obligent le roi à rejoindre l’armée d’Alsace à Metz. Il laisse à sa place lecomte de Saxe qu’il a récemment nommé maréchal.
Le drame de Metz
Le roi est parti de Dunkerque avec son état-major et une armée de 30 000 hommes. Les dames suivent en carrosse. À chaque étape, un logement est préparé pour le souverain et un autre pour sa maîtresse. À Laon,Louis XV a soupé chez leduc de Richelieu, qu’il a quitté en sortant discrètement par une petite porte donnant sur une ruelle afin de rejoindreMme de Châteauroux dans une maison voisine. Des curieux crièrent « Vive le roi ». Il s’en fut serrant ses basques jusqu’au jardin où l’attendait sa favorite. À Reims, un couloir de planches hâtivement construit permit aux deux amants de se retrouver, mais cet échafaudage et quatre rues interdites aux voitures et aux piétons soulignaient le scandale. Comble de malchance, la duchesse tomba malade. Le roi, repris par ses obsessions, ne parlait plus que de la maladie de sa favorite ; il se demandait où on l’enterrerait et comment serait son tombeau ! Heureusement Mme de Châteauroux se rétablit très vite et on se remit en route.
Weitere Kostenlose Bücher