Le temps des illusions
qu’aux fêtes et attendent avec impatience le bal masqué où l’on compte s’amuser, le 25 février.
Ce soir-là, des milliers de terrines où brûlent des bougies sans cesse renouvelées illuminent la façade du château côté cour. Vers onze heures et demie, des centaines de carrosses se pressent dans l’avenue de Paris. Le roi et la famille royale, qui ont soupé en grand couvert, se sont retirés à l’arrivée des premiers convives. Comme on n’a pas donné de billets d’invitation, on laisse entrer tous les masques dans le salon d’Hercule, mais la cohue est telle que les huissiers sont bientôt débordés. Quinze cents personnes s’entassent debout ou assises par terre. En attendant le début des réjouissances, on lorgne sur les buffets où s’étalent poissons (régime de carême oblige) et confiseries entre des pyramides d’oranges. Lorsque s’ouvrent les portes de l’appartement royal paraîtla reine en grand habit de cour escortée par ledauphin etladauphine costumés en berger et en bergère. On se demande où peut être le roi lorsque soudain huit ifs taillés à la manière de ceux du parc font irruption dans la galerie. Le souverain est sûrement parmi eux, mais lequel est-ce ? Toutes les jolies femmes en quête d’aventure se pressent vers ces arbres mystérieux. L’un d’eux s’enfuit avec une dame. Est-ce le souverain ? Nul ne le sait.
Fêtes populaires et idylle royale
La Ville de Paris a organisé des fêtes dignes d’une telle solennité. Le jour du mariage, huit grandes salles ont accueilli le peuple qui pouvait se régaler et danser : il y en avait deux sur la place Vendôme, deux sur la place des Victoires, une au Carrousel, une place de l’Estrapade, une place Dauphine et une autre à la porte Saint-Antoine adossée à la Bastille. Des plafonds de toile peinte tendus au-dessus des murs décorés de treillage dissimulaient de solides charpentes et un plancher permettait de circuler facilement. Dans chacune de ces salles, quatre orchestres se relayaient en permanence et sur des buffets en gradins étaient disposés des morceaux de mouton, de dinde, des langues, des cervelas, du pain et du vin. Malheureusement, les réjouissances ne se sont pas toujours déroulées comme l’espéraitM. de Bernage, le prévôt des marchands. Les salles furent très vite assaillies par la populace. Des hommes escaladèrent les buffets d’où ils lançaient pêle-mêle des morceaux de viande qui tombaient sur la foule. Attrapaient ceux qui pouvaient. Les orchestres jouaient, mais personne ne dansait sauf quelques polissons qui faisaient des farandoles, renversant tout sur leur passage. Les artisans et les commerçants venus là en famille furent obligés de quitter les lieux. Une lingère ou une femme de savetier se serait sentie déshonorée de danser là. Certains pensent que le prévôt aurait dû faire contrôler les entrées et donner à boire et à manger sur les places publiques. Tout Paris était dans la rue. Les jours suivants, il y eut un beau tumulte chez le prévôt où se précipitèrent des gens de toutes conditions pour retirer les billets pour le bal masqué de l’Hôtel de Ville. Le prévôt, qui voulait réserver ces invitations à la seule noblesse, s’était brouillé avec les échevins, lesquels en avaient distribué à de nombreux bourgeois…
Le bal masqué de l’Hôtel de Ville fut magnifique. Recouverte d’un parquet et surmontée d’un plafond peint à la hauteur des toits, la cour était devenue une salle de danse. Des murs de miroirs donnaient une impression d’immensité. Les glaces et les pilastres des galeries du premier étage reflétaient à l’infini l’image des invités. On se plaignait cependant de la pingrerie des buffets et la foule était si dense qu’on s’y étouffait. Plusieurs personnes se trouvèrent mal.
Le roi etle dauphin allèrent à ce bal chacun de son côté, le souverain voulant laisser la vedette à son fils puisque la Ville donnait ces fêtes en son honneur. À la demande de son père, le dauphin partit de bonne heure,son épouse était trop fatiguée pour l’accompagner. En réalité, le souverain voulait profiter d’un complet incognito pour rejoindre une mystérieuse personne. Vers minuit, sous un domino noir, il quitta Versailles avec leduc d’Ayen et quelques intimes. À la barrière de Sèvres, il croisa le carrosse du jeune prince qui rentrait à Versailles ; il était sûr de n’être plus reconnu. Il
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