Le temps des illusions
Belle-Isle etson frère sont prisonniers. Des hussards hanovriens les ont capturés dans des circonstances qui restent obscures près d’un village du comté de Stolberg pourtant considéré comme État neutre. Les deux frères vont être conduits dans une forteresse anglaise. Le maréchal détenait des documents confidentiels qui ont été saisis. « C’est bien les papiers dont je suis en peine », s’est écrié le roi en apprenant la nouvelle. Il ne s’inquiète pas pour les deux victimes, qui seront traitées en prisonniers de guerre selon leur rang.
À peine avait-on appris cette malencontreuse affaire qu’une surprenante annonce parvenait à S.M. : l’empereur bavarois était mort subitement le 20 janvier « d’une goutte remontée ». Il n’avait que quarante-sept ans. On se souvient que c’est son élection à Francfort voulue par la France à la mort deCharles VI de Habsbourg qui a entraîné cette guerre dans laquelle l’Europe se débat depuis bientôt cinq ans. Une habile négociation pourrait aboutir à la paix si l’on voulait bien accepter pour empereur l’époux deMarie-Thérèse,François de Lorraine, aujourd’hui duc de Toscane. Cela permettrait de donner une principauté italienne àPhilippe, mari d’Élisabeth de France, fille de Louis XV. Il y aurait alors une suspension d’armes. C’est ce que souhaitent de bons bourgeois tels que l’avocat Barbier. Mais ces personnes raisonnables ignorent les intentions de S.M. et celles de ses ministres. Le roi a tenu conseil à ce sujet, mais nul ne sait ce qui a été décidé.
Les préparatifs du mariage se poursuivent à vive allure. À Versailles on transforme le manège couvert de la Grande Écurie en salle de spectacles. Le soir des noces on y jouera La Princesse de Navarre , un divertissement sous forme de comédie-ballet imaginé parVoltaire sur une musique deRameau. Il n’y aura que cinq cent quatre-vingts places. Le lendemain, le manège se transformera en salle de bal. Dans le salon d’Hercule, des ouvriers installent des gradins de bois doré pour le bal masqué. Des barrières contiendront la foule dans le péristyle précédant la chapelle. À Paris, tous les habitants sont « furieusement en mouvement » ; les commerçants et les artisans doivent répondre aux dernièrescommandes et les échevins préparent la réception de la famille royale, ce qui n’est pas une mince affaire.
Le roi,le dauphin, la Cour et la Ville se demandent comment seraMadame la dauphine. Cette princesse a dix-neuf ans, quatre ans de plus que son époux. On sait peu de chose de ce prince qui vit dans l’ombre de ses parents. Plutôt timide et renfermé, il passe pour un jeune homme sérieux, très pieux, assez instruit, et plutôt coléreux. Il n’a ni le charme de son père, ni la bonhomie de sa mère ; il ne connaît pas les femmes. Il vient de faire savoir à son épouse qu’il souhaitait qu’elle mît du rouge sur ses joues comme le veut la coutume de ce pays-ci. L’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle, qui ne s’est jamais fardée, a accepté cette demande puisqu’elle vient de M. le dauphin.
Depuis la frontière, la princesse avance à petites étapes.Le duc de Richelieu, en tant que premier gentilhomme de la chambre de S.M., ira au-delà d’Orléans faire compliment à la princesse de la part du roi, de la reine et de M. le dauphin. Il lui apportera une grande boîte couverte de velours cramoisi brodée d’or et doublée de satin bleu à l’intérieur de laquelle Mme la dauphine trouvera une montre, une tabatière, des étuis, un éventail, le tout garni de diamants et monté en or. Il paraît que la jeune personne est bien faite, qu’elle marche élégamment, sourit avec grâce et que son visage, quoiqu’un peu long, est éclairé par deux yeux vifs et un sourire charmant. Ces détails restent vagues, mais d’ici peu, le roi et son fils jugeront par eux-mêmes.
Le 20 février,Louis XV et le dauphin ont pris une chaise à deux places pour aller jusqu’à Sceaux. Quatre cents gardes-françaises, quatre cents gardes suisses et les bourgeois de la ville en armes les attendaient. Le lendemain, suivis par quatre carrosses remplis d’invités, le père et le fils s’avancent jusqu’à Mondésir, la première poste après Étampes, où ils rencontrent le cortège de l’infante. La princesse descend de sa voiture avec mille précautions, marche vers le roi et s’agenouille devant lui. Il la relève, l’embrasse sur
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