Le temps des illusions
les deux joues et la présente à son époux qui l’embrasse à son tour. Le souverain entraîne alors le dauphin, la dauphine, laduchesse de Brancas et laduchesse de Lauraguais dans son carrosse. À Étampes, il présente à la princesse les princes du sang et les ministres et préside le jeu du lansquenet jusqu’au souper. « Voilà une bonne journée de passée », dit-il plus tard àsa belle-fille. « Sire, ce n’est pas celle que je redoutais le plus, a-t-elle répondu. Je me flattais que vous me recevriez avec bonté. Je crains plus celles de demain et après-demain. Tous les yeux seront ouverts sur moi et je n’y trouverai peut-être point des dispositions aussi favorables. »
Pendant ce temps, la reine était arrivée à Sceaux avec les princesses et leur nombreuse suite. Sur la route de Paris à Sceaux, on ne pouvait plus ni avancer ni reculer tant il y avait de carrosses, ceux des courtisans et ceux des curieux qui n’iraient pas aux fêtes de Versailles. Un autre embouteillage bloquait le chemin de Paris à Versailles où se précipitaient déjà une partie des invités et des Parisiens venus en spectateurs. Depuis plusieurs jours les Versaillais ont loué à prix d’or toutes les chambres libres. L’avocat Barbier prétend que le public trouve toujours de l’argent pour fêtes et plaisirs, même lorsqu’il crie misère.
Mme la dauphine risque d’être épuisée par les cérémonies qui l’attendent. Après une courte nuit passée à Sceaux, elle est partie pour Versailles précédée par la famille royale. Arrivée à dix heures et demie, elle parut à une heure dans une robe de brocart d’argent constellée de perles.M. le dauphin portait un habit et un manteau de soie d’or garni de diamants. Passant majestueusement entre une haie de courtisans dans la galerie des Glaces, le jeune couple se tenant par la main descendit l’escalier des Ambassadeurs et parvint à la chapelle dont les travées étaient remplies de monde. Après la cérémonie, M. le dauphin etMme la dauphine devaient dîner dans la chambre de la princesse où deux couverts étaient préparés, mais le roi leur proposa d’inviter Mesdames à dîner avec eux. Qui l’eût dit ? L’étiquette était bouleversée.Louis XV avait brisé le carcan aulique.
Le soir, on se bouscula longtemps pour entrer dans la salle du manège. La foule était si nombreuse qu’il fallut faire ressortir beaucoup d’invités. Quelqu’un cria : « Bourrez ! », ce qui fit très mauvaise impression. Ce tumulte retarda l’arrivée de la famille royale. La Princesse de Navarre ne suscita pas l’enthousiasme. L’intrigue plutôt confuse faisait la part trop belle à la France par rapport à l’Espagne. On jugea ridicule la mise en scène qui prévoyait l’abaissement de la chaîne des Pyrénées grâce à l’Amour descendant sur un char symbolisant l’alliance franco-espagnole. Il était dix heures lorsqueLouis XV fit passer la famille royaledans l’antichambre de la reine pour le souper. Il prit le dauphin à sa droite et la dauphine à sa gauche. Après minuit, les jeunes mariés se préparèrent pour la cérémonie du coucher. Les hommes entrèrent chezM. le dauphin, les femmes chezMme la dauphine. Lorsque les époux en chemise de nuit se retrouvèrent dans la chambre de la mariée, lecardinal de Rohan procéda à la bénédiction du lit, les mariés se couchèrent, on ferma les rideaux, on les rouvrit et le roi les referma pour laisser le jeune ménage enfin seul. Le dauphin et la dauphine, qui n’ont pas même eu le loisir de parler tête à tête quelques instants, doivent maintenant s’occuper de donner des héritiers au trône de France. Le devoir avant tout !
Le lendemain, on présenta des centaines de courtisans à Mme la dauphine, qui dîna tête à tête avec son mari. Le soir, dans la salle du manège, se déroula le bal paré où les dames devaient paraître en grandes boucles. Seuls pouvaient danser les princes et les princesses du sang, les grands et grandes d’Espagne et ceux que le roi avait personnellement désignés.
La dauphine ne séduit pas la Cour. Elle a l’air majestueux qui sied à son rang, mais son long nez qui paraît tenir à son front dépare l’ovale trop prononcé de son visage à la peau cireuse auréolé de cheveux roux. Ses cils et ses sourcils très pâles ne mettent pas en valeur ses yeux sombres. On ne parle d’elle ni en bien ni en mal. Les courtisans et les Parisiens ne pensent
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