Le temps des illusions
amours du souverain, les courtisans se demandent quelle intrigue se trame à leur insu. On dit queMme d’Étiolles passe beaucoup de temps dans ce pays-ci avec le roi, mais il la cache. Rien d’étonnant à cela : elle n’est pas née. « Si le fait est vrai, ce ne sera qu’une galanterie, pas une maîtresse », a déclaré leduc de Luynes. JamaisLouis XV ne prendrait pour favorite une bourgeoise !
Le 1 er avril, à la stupeur générale, la jeune femme occupe au théâtre une loge voisine de celle du roi et de celle dela reine. Les lorgnettes se posent alternativement sur le souverain, sur son épouse et surtout sur l’intruse. On chuchote : il paraît que S.M. reste plusieurs heures par jour et dîne tête à tête avec elle dans les petits cabinets. Pourquoi tient-il des propos assez lestes en public depuis quelque temps ? Seule la fréquentation d’« une caillette » peut l’entraîner à de tels manquements aux usages. Plusieurs gentilshommes et quelques nobles dames, qui veulent en avoir le cœur net, se sont décidés à interroger Binet dont on soupçonne les manigances secrètes. Celui-ci n’a pas livré la moindre confidence. N’y tenant plus,Mgr Boyer, évêque de Mirepoix, ancien précepteur du dauphin, a menacé le valet de chambre de le faire renvoyer s’il n’avouait pas ce qu’il savait.Binet a répondu que Mme d’Étiolles était venue demander une place de fermier général pour son époux et qu’elle ne reparaissait plus à Versailles.
Le 22 avril, l’inquiétude s’accroît : le roi a convié Mme d’Étiolles à souper avecM. de Luxembourg et Mme de Bellefonds, les amis deMme de Châteauroux. Voudrait-il officialiser sa relation ? On s’indigne. Sa « caillette » l’a enjôlé au point de lui avoir fait manquer la fête de l’ambassadeur d’Espagne donnée en l’honneur du mariage de l’infante. Quelques jours plus tard, Mme d’Étiolles s’installe dans l’ancien appartement de Mme de Châteauroux au deuxième étage de l’aile droite du château.
Revenant d’un long voyage organisé parTournehem,M. Le Normant d’Étiolles vient d’apprendre que sa femme le quitte. Et sans regrets. Elle a d’ailleurs pris soin d’emporter de chez lui tout ce qui lui appartenait en propre ! Que faire lorsque le roi vouscocufie ? Rien, sinon accepter la promotion de l’épouse dans l’espoir d’être récompensé.
À Versailles, l’émotion est à son comble : le bruit court que le roi fait acheter poursa maîtresse le marquisat de Pompadour. Et c’estPâris-Montmartel qui fournit l’argent nécessaire aucontrôleur général des Finances. Une question brûle toutes les lèvres.Louis XV osera-t-il présenter à la Cour et « déclarer » comme maîtresse la fille d’un financier douteux répondant au nom de Poisson ? Pour l’heure il vaut mieux penser à la campagne de Flandres que le roi va commander.
Contrairement à ce pouvaient espérer les gens sages, des pourparlers de paix n’ont pas été entamés après la mort de l’empereur bavarois. La guerre continue et semble menée au hasard. On s’est battu contre les Habsbourg en faisant élire un empereur fantoche qu’on a soutenu militairement ; on a aidé leroi de Prusse à conserver la Silésie, mais c’est l’Angleterre qui se révèle comme le principal ennemi de la France depuis qu’elle a noué une alliance avec l’Autriche, la Hollande, le Piémont et la Saxe. Ainsi a-t-elle pris pied l’année dernière dans les Flandres. Malgré plusieurs succès qui ont permis aux Français 1 de s’emparer des places situées entre Menin et la mer, la campagne de 1744 n’a pas été décisive. Pénétrer à l’intérieur des Pays-bas autrichiens constitue l’objectif de la campagne de cette année. Aussi faut-il prendre Tournai qui ouvre la voie de l’Escaut entre Flandre et Hainaut.
Le 6 mai à l’aube, S.M. a quitté Versailles accompagné parle dauphin qui rêve d’en découdre avec l’ennemi. Il attend avec impatience le baptême du feu qui le rendra digne de ses grands ancêtres. Le souverain n’a pas manqué de faire remarquer que depuis 1356, c’est la première fois qu’un roi de France et son fils partent ensemble en campagne. Il ne faudrait pourtant pas trop insister sur ce clin d’œil de l’Histoire : la bataille de Poitiers au cours de laquelle le prince héritier ne cessait de répéter « Père gardez-vous à droite, père gardez-vous à gauche » s’est
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