Le temps des illusions
mémoire dans lequel elle expose les vexations du Régent à l’égard de son époux. Cellamare se rend compte qu’il a affaire à des amateurs : le duc duMaine, qui n’entre pas dans la « conspiration » de sa femme, ne semble pas être un chef susceptible de diriger une révolte. En réalité, la princesse attend des propositions du roi d’Espagne.
Persuadée que celui-ci soutiendra son entreprise, Louise-Bénédicte envoie le comte de Laval en Anjou et en Poitou, M. de Pompadour en Normandie et un troisième émissaire à Nantes pour tenter de soulever la noblesse. Ils reviennent bredouilles. Ces provinces fermentent, mais les gentilshommes rencontrés n’ont émis que des protestations orales contre les mesures adoptées à l’égard des légitimés. Il en faudrait davantage pour décourager la princesse. Elle sollicite du roi d’Espagne un manifeste réclamant la convocation d’états généraux en France afin de rétablir dans leurs droits les princes légitimés. En même temps, il est prévu de soulever Paris et les provinces contre l’autorité de Philippe d’Orléans qu’on arrêtera au cours d’une fête, afin de l’enlever et de l’emprisonner en Espagne. Il sera ainsi aisé de se rendre maître du jeune roi qu’on placera sous la tutelle de M. du Maine. La duchesse ajoute que la constitution Unigenitus deviendra loi d’État, que les parlements retrouveront leur liberté et que le traité de la Triple-Alliance qui vient de devenir celui de la Quadruple-Alliance puisque l’empereur y adhère depuis le 17 juillet sera dénoncé. Enfin, la régence serait déférée au roi d’Espagne qui délèguera ses pouvoirs au duc du Maine. Le prince de Cellamare est de plus en plus persuadé que l’Espagne n’a rien à attendre de ces conspirateurs en chambre.
Le coup de théâtre du 26 août 1718
L’agitation entretenue par la duchesse duMaine n’échappe pas auRégent, mais l’attitude de plus en plus belliqueuse des magistrats l’inquiète davantage : ils ont refusé d’enregistrer les édits de dévaluation de la livre et s’opposent à la politique du banquierLaw. L’Écossais a élaboré un projet de réforme fiscale dont ces messieurs ne veulent pas entendre parler. Pour parer toute éventualité de ce genre, ils ont fait défense « à tous les étrangers même naturalisés de participer au maniement des deniers du royaume ». Se croyant en danger, Law s’est réfugié au Palais-Royal. Ses projets novateurs retiennent toute l’attention du prince. Persuadé que son génie transformera les finances de la France, Philippe d’Orléans ne veut pas rencontrer d’opposition. Aussi prépare-t-il un coup d’éclat encouragé parDubois son mentor et son ami le duc deSaint-Simon. Ils ont décidé de prendre ces messieurs par surprise au lendemain d’une solennité joyeuse, celle du jour de la Saint-Louis, fête du roi, le 25 août.
Louis XV a maintenant huit ans et demi et semble tenir les promesses que laissait présager sa petite enfance. Le 24 août au soir, alors que la musique jouait sous ses fenêtres, il faisait une chaleur accablante ; tout le monde en souffrait, à commencer par l’enfant vêtu de son habit de cérémonie. Soudain l’orage éclata. Du balcon où il regardait la foule qui l’acclamait, le roi s’amusa de voir tous ces gens fuir sous la pluie tant attendue. Une heure plus tard, par un ciel serein, un feu d’artifice représentant une forteresse illumina le ciel de Paris. Le roi alla se coucher. Le lendemain matin, on lui présenta quantité de bouquets de fleurs mais il admira surtout un panier dans lequel se nichaient un cochon d’Inde et un couple de lapins blancs avec son petit qui tétait sa mère. On les voyait brouter des feuilles de vigne sur lesquelles plusieurs hannetons artificiels avaient l’air prêts à s’envoler. L’enfant s’est bien amusé, mais le régent était triste. Pendant qu’il participait à cette cérémonie, Mgr deNoailles recevait à l’abbaye de Chelles la profession de foi de Mlle d’Orléans, deuxième fille du prince, laquelle a décidé de consacrer sa vie à Dieu. Toute la famille s’en afflige. À commencer par son père.
Une inquiétude chasse l’autre. Alors que sa fille se recueillait, lerégent préparait en secret un lit de justice dont les conséquences devraient peser lourd sur l’avenir du royaume. Le prince est anxieux.Dubois etSaint-Simon l’encouragent à la fermeté : il doit
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