Le temps des illusions
délégation au Régent. Le prince répondit qu’il cherchait des moyens susceptibles de remédier à la situation et qu’il était prêt à entendre les conseils de son parlement.
On ferma de nouveau la banque et lorsqu’elle rouvrit on ne laissa entrer les solliciteurs que l’un après l’autre. Le 10 juillet, ce fut l’émeute. La foule exaspérée tenta d’enfoncer la porte, jeta des pierres dans les fenêtres. La garde tira. Un cocher s’effondra et un manifestant fut atteint à l’épaule. Dans le silence qui suivit, plusieurs hommes soulevèrent le corps du cocher et le conduisirent jusqu’au Palais-Royal.
La tension monta les jours suivants. Au cours de la nuit du 16 au 17 juillet, une multitude de petits porteurs venus des faubourgs se précipita rue Vivienne. Chacun voulait être le premier à l’ouverture. Ce matin-là, douze à quinze personnes furent étouffées entre le mur et une barricade de charpente sur laquelle étaient juchés plusieurs ouvriers qui se jetaient sur les plus faibles qu’ils écrasaient de leur poids. Une quinzaine de personnes trouvèrent ainsi la mort. À six heures du matin, on porta trois cadavres au Palais-Royal. Devant les grilles la foule hurlait : « LeRégent ! Le Régent ! » Les gardes répondirent que le prince était à Bagnolet 1 . « Ce n’est pas vrai ! Il n’y a qu’à mettre le feu, on le trouvera bien », cria la multitude. Une bande se dirigea vers les Tuileries en emportant l’un des cadavres tandis que d’autres manifestants donnaient l’assaut à l’hôtel deLaw.
Quand on apprit aux Tuileries ce qui se passait au Palais-Royal, on envoya aussitôt un détachement des compagnies qui se trouvaient auprès du roi afin de disperser l’émeute. Entre-temps, le duc deTresmes, gouverneur de Paris, était arrivé en carrosse d’où il jetait de l’argent à la foule : ses manchettes furent déchirées. M. LeBlanc, secrétaire d’État à la Guerre, se montra peu après. Une femme dont le mari venait d’être tué l’attrapa au collet, disant qu’elle n’avait plus rien à perdre puisque son mari avait trouvé la mort. Le Blanc ne voulut pas qu’on l’arrêtât. Il se dégagea et, avisant quelques gars robustes, il leur demanda de porter le corps dans une église.
Vers dix heures parut Law. Une femme se jeta à la portière de son carrosse, réclamant, elle aussi, son mari qui avait succombé. Il lui proposa de l’argent. Elle hurla : « Non, je veux mon mari ! » Le cocher fit avancer les chevaux et Law, plus mort que vif, entra au Palais-Royal. Son malheureux cocher fut aussitôt assailli parles manifestants. On commença par briser les glaces du carrosse, on enfonça le panneau du fond. Comme il descendait de son siège, on le jeta à terre. On le laissa gisant, la jambe cassée. Tout le monde était en larmes dans les rues.
Vers midi, le calme revint après l’intervention des brigades du guet. LeRégent respira. Il avait eu très peur. Il donna l’ordre à plusieurs régiments de se tenir autour de Paris. Il installaLaw dans un appartement du Palais-Royal de peur qu’il lui arrivât malheur.
Pendant ce temps, les chambres du Parlement étaient assemblées et délibéraient sur un nouvel édit. Il s’agissait d’accepter que la Compagnie des Indes fût perpétuelle, moyennant le paiement de 600 millions de billets de banque pendant six mois. Ces messieurs refusèrent l’enregistrement.
Au cours du Conseil qui suivit, le Régent décida d’interdire les attroupements, de fermer la banque et d’exiler le Parlement. Dès le 18 juillet, les régiments appelés la veille étaient prêts à intervenir au moindre signal. Le 20, les magistrats reçurent à leur domicile la lettre de cachet qui les exilait à Pontoise. LeRégent voulait faire croire qu’ils étaient les principaux responsables des troubles financiers, mais personne ne croyait un tel conte. Plusieurs pamphlets attaquaient le prince. On trouvait partout dans les rues un papier sur lequel on pouvait lire : « Sauvez le roi, tuez le tyran et ne vous embarrassez pas du trouble. »
Misère du temps
La désolation continue. Les billets baissent chaque jour. On a réduit les comptes en banque de 75 %. Jamais on n’a vu pareil écroulement. Ces papiers qu’on s’était disputés avec fureur sont maintenant inutiles entre les mains de tant de gens qui se refusent à croire que ce qui avait tant de valeur n’en ait plus aucune. Rentes, actions,
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