Le temps des illusions
n’y a que deux ou trois maisons assez misérables.
Panique à la Banque
Poursuivant sa fulgurante ascension, Law est nommé contrôleur général des Finances le 5 janvier 1720. La charge n’existait plus depuis la disgrâce de Fouquet, mais M. leRégent l’a recréée pour lui. Prendre un étranger de religion réformée pour ministre ne pouvait manquer de faire scandale. Aussi Law a-t-il obtenu des lettres de naturalité du Régent et s’est-il converti très vite au catholicisme grâce à l’abbé de Tencin, peu regardant sur la foi de ce nouveau fidèle qui le gratifia d’actions et de billets. Law vit depuis longtemps au milieu de personnes du plus haut rang qui lui font une cour assidue. Il prodigue des largesses à ces solliciteurs qui le flattent. Il est persuadé que son système assure pour longtemps richesse et prospérité au royaume. Il a peut-être oublié que la roche Tarpéienne est souvent proche du Capitole.
Au début du mois de janvier, les actions ont commencé à baisser. La compagnie les racheta aussitôt avec des billets. Cependant la baisse se poursuivit. Le contrôleur général tenta d’interdire les espèces dans les transactions. En vain. Il imprima de nouveaux billets, mais leur discrédit s’accrut de jour en jour. Le public se mit à acheter des ouvrages d’orfèvrerie et des objets susceptibles de garder leur valeur si les billets devaient se dévaluer. L’inquiétude grandissait. La banque devait trouver des espèces par n’importe quel moyen. On interdit la possession de métaux précieux et les bandouliers du Mississippi furent réquisitionnés pour faire la chasse aux louis. Aucune serrure, aucune porte ne leur résistaient, même celles des églises.
Le 22 mars, vendredi de la Passion, dans une chambre attenant à un cabaret de la rue de Venise, parallèle à la rue Quincampoix, on entendit des cris horribles. Un des garçons découvrit un homme noyé dans son sang et vit deux individus s’enfuir par la fenêtre. Il cria au meurtre. On courut après les assassins. Ontrouva l’un au bas de la croisée et on arrêta l’autre aux Halles. Un troisième compère tomba peu de temps après dans les filets de la police. Ces assassins ne sortaient pas de la lie du peuple. Le « cerveau » de l’affaire n’était autre que le comte deHorn, fils d’un grand d’Espagne et d’une princesse de Ligne, un mauvais sujet qui avait dilapidé beaucoup d’argent. Avec deux complices, il avait résolu de poignarder un riche agioteur pour s’emparer de son portefeuille. Sous prétexte de négocier 100 000 écus d’actions, il lui avait donné rendez-vous dans un cabaret. Ce crime suscita une vive émotion. LeRégent ne se laissa pas fléchir par les parents de l’assassin qui sollicitaient sinon sa grâce, du moins une exécution conforme aux traditions de la noblesse, c’est-à-dire la décollation. Le prince fit rendre un arrêt du Conseil privé ordonnant au lieutenant criminel de juger l’affaire sans délai. Les trois complices furent condamnés au supplice infamant de la roue, le 26 mars, et exécutés aussitôt. Ce même jour, leRégent décida de fermer les bureaux de la rue Quincampoix et interdit l’agiotage dans les lieux publics. Ce sinistre fait divers a marqué la fin des rêves de richesse. L’inquiétude succède à l’euphorie.
Au début du mois d’avril, le prince deConti et le duc deBourbon voulurent convertir 40 millions de billets en or ! Il fallut se rendre à leur désir. Trois fourgons chargés de métal précieux traversèrent Paris, semant l’inquiétude sur leur passage.Law, affolé, se plaignit au Régent lequel réprimanda les princes, trop heureux de l’opération fructueuse qu’ils venaient d’effectuer. Ce fut alors une ruée vers les guichets. Le 22 mai, on ferma la banque. Le 30 mai, le Régent déchargea Law de ses fonctions de contrôleur général, mais lui laissa la direction de la banque et le nomma conseiller d’État.
Le 1 er juin, la banque rouvrit mais ne remboursa que de petites coupures. La colère montait dans Paris. Le 7 juin, on ferma de nouveau les guichets jusqu’au 15. Lors de la réouverture, on ne changea plus qu’un seul billet par personne. Des files interminables de petits porteurs se formaient dès l’aube. Ils se disputaient, s’en prenaient aux resquilleurs ; des coups de canne pleuvaient ; plusieurs personnes furent étouffées. Des pamphlets attaquaient Law. Le Parlement envoya une
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