Le temps des illusions
jour de douleurs abdominales. Seul un travail intensif parvient à le calmer. Debout chaque matin à cinq heures, il dépouille ses dossiers, se présente au lever du roi à huit heures. Il reçoit ensuite les ministres, donne des audiences, signe les dépêches, assiste aux conseils et se consacre aussi à l’éducation deLouis XV.
L’apprentissage d’un métier délicieux
Le métier de roi sera-t-il pourLouis XV comme pourLouis XIV un métier délicieux ? Son successeur ne manifeste pas encore le goût du pouvoir. Ce très beau garçon qui sera sûrement un monarque imposant a la réputation d’être impénétrable. Leduc de Villeroy lui a donné le goût du secret et la plupart de ceux qui le rencontrent sont surpris par son mutisme. Il évite lemonde et recherche la solitude. En société, il fait des remarques déroutantes qui ne dénotent ni bonté ni subtilité. Certains se demandent si ce n’est pas un signe de sottise.
Dubois, qui fut le précepteur du Régent, a repris à son intention les leçons qu’il donnait naguère à son maître. Il veut initier le souverain à la politique commeMazarin l’avait fait avec Louis XIV. Il fait rédiger par les meilleurs collaborateurs des ministres des rapports détaillés sur la situation diplomatique de l’Europe, sur l’administration militaire, les revenus de l’État. Chaque matin,Louis XV s’assied sur un fauteuil devant sa table ayant à sa droite le duc d’Orléans, à sa gauche leduc de Bourbon, en face de lui le Premier ministre entouré par leduc de Charost et parM. de Fleury. C’est Dubois qui parle. Si l’on en croit le duc deSaint-Simon, il manifeste trop de familiarité à l’égard du souverain qu’il aurait tendance à traiter en enfant. Parfois le duc d’Orléans ajoute quelques précisions avec grâce mais en marquant beaucoup de respect à son neveu. Si le jeune homme émet un avis qui lui semble malheureux, le Régent le reprend doucement en lui disant : « Je ne suis ici que pour vous rendre compte, vous proposer, recevoir vos ordres et les exécuter. »
La leçon quotidienne de Dubois n’exclut pas celles de M. de Fleury, qui continue de lui enseigner l’histoire et qui charge des spécialistes de le former dans les mathématiques, les sciences, l’astronomie, l’art de la guerre… Le roi se montre assez docile ; il aime les causeries de M. de Fleury qui exerce sur lui une influence certaine. Il n’est pas facile de distraire le monarque. Il ne se plaît ni au théâtre, ni à l’Opéra, ni au bal. Enfant, aux Tuileries, il aimait jouer à la guerre et il découvrit avec bonheur le cabinet de curiosités de Pajot d’Ons-en-Bray rempli d’instruments scientifiques ainsi que celui d’Alexandre Robert d’Hermant encore plus riche. Il renferme des objets d’art de toutes sortes, mais aussi des instruments de mathématique et d’astronomie parmi lesquels se trouvent six sphères célestes qui ont fascinéLouis XV. Il a observé avec passion l’éclipse partielle du Soleil au mois de juillet 1721 aux côtés de l’astronomeCassini qui lui commentait le phénomène et il attend avec impatience celle qui aura lieu au mois de décembre.
Afin de le distraire selon son rang et de répondre à ses goûts, ses maîtres ont eu l’idée de simuler un véritable siège. Entre Versailles et Montreuil, on a aménagé un camp, appelé camp de Porchefontaine, et construit un fort. Les hommes du régiment du roi sont répartis en deux groupes. Les uns revêtus d’habits bleus à l’intérieur du fort seront les assiégés, les autres dans leurs uniformes habituels seront les assiégeants. Samedi 19 septembre, on a investi la place. Le colonel du régiment tient table ouverte soir et matin pour une centaine de personnes. Les princes et lecardinal y ont soupé. Tous les après-midi, tantôt à pied, tantôt à cheval, le roi comme un général en chef vient sur une hauteur pour inspecter ses troupes et voir l’évolution du siège. Ce divertissement initiatique est un sujet d’étonnement pour les Parisiens. Ils se rendent en foule à ce siège fictif pour lequel on respecte toutes les règles de l’art militaire et dont ils se font expliquer les moindres détails. On assiste ainsi à des attaques, à des sorties ; des mines de carton explosent ; les « morts » et les « blessés » s’effondrent ; des brancardiers les emportent sous la « mitraille » ; des soldats regagnent leurs camarades en
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