Le temps des illusions
ses excès ont ruiné sa santé. À quarante-neuf ans, c’est un homme usé qui traîne péniblement son corps alourdi par la graisse. Il n’a plus le teint fleuri mais une mine plombée. Sa vue faiblit. Le duc deSaint-Simon, qui l’aime, ose lui dire que sa conduite privée et ses scandaleuses soirées lui font beaucoup de tort dans le public.Le prince écoute son ami, mais lui répond qu’il ne peut changer ; il lui avoue piteusement qu’il n’a plus envie de femmes et que le vin l’écœure. « Mais avec ce dégoût du vin et cette mort de Vénus, lui demande Saint-Simon, quel plaisir peut vous attacher à ces soirées, à ces soupers, sinon du bruit et des gueulées qui feraient boucher toute autre oreille que la vôtre et qui n’est plus que le déplorable partage d’un vieux débauché qui n’en peut plus, qui soutient son anéantissement par les misérables souvenirs que réveillent les ordures qu’il écoute 4 ? »
Le Régent cède. Il prie Mme d’Averne de quitter Versailles en lui disant qu’ils pourraient toujours se voir à Paris. Elle se console avec leduc de Richelieu et d’autres jeunes gens. Leduc d’Orléans est retourné chez sa femme ! Ils partagent au moins une satisfaction, celle de marier leur fille,Mlle de Beaujolais, avecdon Carlos infant d’Espagne. La princesse est fort jolie et jouit d’un caractère aimable, ce qui n’est pas le cas de sa sœur aînée laprincesse des Asturies qu’elle va retrouver à Madrid. Avant de quitter Versailles, Mlle deBeaujolais est allée dire adieu à sa grand-mère,Madame Palatine. Cette bonne grosse Allemande au caractère solidement trempé, toujours si digne, est aujourd’hui très malade. On a cru qu’elle allait mourir pendant le voyage du sacre qui lui a permis de voir sa fille, laduchesse de Lorraine, et ses petits-enfants. Les médecins se pressent aujourd’hui à son chevet et elle les traite de charlatans. Son fils vient la voir plusieurs fois par jour. « Pourquoi pleurez-vous ? Ne faut-il pas mourir ? », lui dit-elle. Elle a cessé de vivre le 8 décembre, à trois heures du matin, dans le château de Saint-Cloud qu’elle aimait tant. Le prince pleure amèrement auprès de M. de Saint-Simon.
Dubois, qui a prêché le sérieux à son maître, a, paraît-il, des plaisirs secrets. La nuit, on conduit chez lui des filles de joie qu’il contente comme il peut, ce qui n’empêche pas sa maîtresse Mme deTencin, la religieuse défroquée qui tient l’un des meilleurs salons de la capitale, de passer une partie de ses nuits avec lui. On ne sait comment Dubois malade et drogué de travail parvient encore à faire la noce.
Le roi en sait sûrement beaucoup plus long qu’on ne l’imagine sur les débauches de son oncle et de son principal ministre. Il n’en dit rien, à son habitude. Son caprice ou sa colère froide s’abattent sur ceux qui ne s’y attendent pas. Son valet de chambreBontemps en a fait les frais. Ayant appris que ce monsieur avait reçu sa maîtresse à Versailles et qu’il avait dîné avec elle, le roi lui a ordonné de renvoyer la dame et de ne pas paraître devant lui. Dans cette cour dépravée, M. deFleury a soigné l’éducation morale et religieuse de son élève, mais on peut se demander si cette mesure n’a pas été plutôt inspirée par le désir de s’affirmer comme le maître que par souci de moralité.
Depuis son sacre, Louis se montre capricieux. L’étude l’ennuie ; il aime à dire que la volonté du roi est la loi. Il s’est moqué de son gouverneur et il a misM. de Fleury à la porte de son cabinet. Enfantillage ou sottise ?
Le 15 février 1723,Louis XV a eu treize ans accomplis. Dès le matin, le Régent est venu à son réveil lui déclarer qu’il lui remettait le soin de l’État et l’assurer qu’il était désormais le maître absolu. Le monarque ne répondit rien, se leva et passa dans son cabinet. Comme il se plaignait d’une puce qui le piquait, son précepteur lui dit : « Sire, vous êtes majeur, vous pouvez ordonner sa punition. » « Qu’on la pende », répondit-il en riant. Ainsi commence le règne effectif de S.M.Louis XV, par la pendaison d’une puce !
Le plus sérieusement du monde, le roi est allé le 20 février assister à la messe à la Sainte-Chapelle avant de tenir le lit de justice d’intronisation. Au soulagement général, il a maintenu leduc d’Orléans à la tête de l’administration et reconduitDubois dans ses
Weitere Kostenlose Bücher