Le temps des illusions
nous a donné pour roi. »
À cet instant, les portes s’ouvrent et les deux évêques s’avancent jusqu’au lit de parade où est allongé le jeune homme dans une longue robe de drap d’argent recouvrant une camisole de satin cramoisi. Il porte sur la tête une toque de velours noir garnie de plumes blanches. Les deux ecclésiastiques le soulèvent par les épaules, lui mettent ses mules de drap d’argent et le conduisent jusqu’à la cathédrale.
Commence alors la très longue cérémonie au cours de laquelle le roi prête tout d’abord plusieurs serments ; on lui enlève ensuite sa robe et sa toque pour recevoir les onctions sacrées, après quoi, revêtu de la tunique, de la dalmatique et du manteau royal de velours violet fleurdelisé d’or, l’archevêque le conduit sur son trône, lui remet le sceptre et la main de justice avant de poser sur sa tête l’énorme couronne de Charlemagne que maintiennent les pairs tant elle est lourde. L’archevêque récite les prières de l’intronisation, s’incline devant le roi et s’écrie : « Vivat Rex in aeternum ! » On ouvre alors les portes de l’église au peuple qui s’y engouffre, mêlant ses cris au roulement des tambours et au son des hautbois. Des vivats s’élèvent de toutes parts tandis qu’on ouvre des paniers d’où s’échappent des pigeons affolés tournoyant sous la nef avant de sortir de la basilique. Les cloches sonnent à toute volée pendant longtemps avant que la messe ne commence. Une longue messe chantée à la fin de laquelle le roi communie sous les deux espèces. Coiffé de sa petite couronne, le roi est conduit jusqu’au palais archiépiscopal où il se change avant le festin du sacre.
Pendant près de six heures, sans paraître fatigué un instant, refusant le bouillon chaud préparé à son intention qui demeuraitcaché dans un endroit pratiqué exprès dans le jubé, il demeura stoïque. Le dressage que lui avait imposé leduc de Villeroy a sans aucun doute porté ses fruits en ce jour de glorieuse représentation.
Les jours suivants, il y eut messe dans l’abbaye de Saint-Remi, la réception du roi comme grand maître dans l’ordre du Saint-Esprit, une revue des troupes et enfin la cérémonie du toucher des écrouelles. Selon l’antique coutume assurant que le roi ayant reçu l’onction sacrée devenait capable de guérir les incurables,Louis XV se plia à ce rituel très éprouvant. Plus de deux mille malades affreux à voir et qui dégageaient une odeur pestilentielle étaient rangés dans le parc de l’abbaye attendant leur guérison du lieutenant de Dieu. Une véritable cour des miracles. Surmontant son dégoût, le monarque se pencha gracieusement sur chacun de ces malheureux dont la tête était tenue par le premier médecin de S.M. et les mains jointes par leduc d’Harcourt, capitaine des gardes. De sa main droite, Louis les toucha tous au visage en disant : « Dieu te guérisse, le roi te touche. » Cette épreuve achevée, il s’essuya longuement les mains avec des serviettes imbibées de vinaigre et d’autres parfumées à l’eau de fleur d’oranger. Enfin, avant son départ, le roi gracia six cents prisonniers qui vinrent l’acclamer sous ses fenêtres.
Le retour à Versailles fut grandiose, marqué par deux jours de fêtes à Villers-Cotterêts chezle Régent et deux jours à Chantilly chez leduc de Bourbon. Ces princes avaient rivalisé d’invention pour distraire le souverain. En se dirigeant vers la capitale, qui tenait aussi à manifester sa joie,Louis XV s’arrêta à Saint-Denis pour se recueillir devant le tombeau deLouis XIV et la châsse de Saint Louis. Le 10 novembre, il retrouva le château de son aïeul. Le voyage avait duré trois semaines.
À Paris comme à Versailles, le roi n’a pas prêté la moindre attention àl’infante-reine, qui n’a pas été autorisée à se rendre à Reims. Cette enfant fait la joie de tous ceux qui la voient. Elle a tenu à faire son compliment aux ambassadeurs, mais avant de parler, en se frappant le front, elle dit à Mme deVentadour : « Je voudrais bien leur dire quelque chose, mais il ne me vient rien. »
Le jeune homme et les vieillards
Au milieu de la joie générale, le Régent nourrit de sombres pensées.Dubois lui a fait la leçon. À la veille de la majorité officielle du roi, il faut qu’il mène une vie privée exemplaire ! Il y aurait de quoi rire si le Régent n’était pas aussi triste. Ses orgies,
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