Le temps des illusions
docteurs en Sorbonne hostiles à la bulle et interdit à trois cents prêtres parisiens de célébrer le service divin ; on les accuse de gâter l’esprit des fidèles. Désormais privés de revenus, ils sont nourris et entretenus par des particuliers jansénistes. Certains émigrent en Hollande. Le pouvoir prévoit des peines contre toute publication critique à l’encontre de la bulle. Cependant, malgré ces persécutions, le jansénisme n’est pas mort. L’autoritarisme du cardinal sécrète une opposition qui n’est plus seulement une opposition religieuse, mais une opposition politique mettant en cause l’autorité du pouvoir monarchique. Elle regroupe les parlementaires, le clergé du second ordre, suivis par la majorité de la population parisienne. Les adversaires les plus résolus se trouvent chez les magistrats, qui ne veulent pas faire le jeu de l’ultramontanisme et soumettre le pouvoir du roi de France à celui du pape. Fleury ayant l’intention de faire déclarer la bulle loi de l’Église et de l’État, il risque de se trouver dansune situation difficile car l’enregistrement par le Parlement sera nécessaire. Aussi a-t-il décidé de faire tenir au roi un lit de justice pour forcer l’enregistrement. C’est chose faite depuis le 3 avril 1730. LorsqueLouis XV est sorti du palais de justice, pour la première fois on n’a pas entendu crier « Vive le roi ! ».
Fleury encourage ainsi les évêques constitutionnaires à considérer les appelants comme des hérétiques, mais en précisant que la bulle n’est pas une « règle de foi », il encourage les parlements à considérer ces évêques comme fauteurs de troubles. Ainsi, le jansénisme religieux risque bien de devenir un jansénisme judiciaire et de dériver vers une opposition politique à la monarchie. D’ailleurs, l’opinion évolue. Les rapports de police montrent que le peuple de Paris se détache du jeune monarque qui l’a abandonné. À leurs yeux, il n’est plus que « Louis le chasseur ». On le croit paresseux et irresponsable, incapable de s’affirmer devant le cardinal de Fleury auquel il a abandonné son pouvoir. On accuse le prélat d’avoir subjugué son royal élève et de lui avoir inculqué des préjugés qui risquent d’être fatals à son règne. Un agent de police rapporte que « quand le roi ferait agir son autorité pour soutenir tout ce qui sera émané de sa part contre les jansénistes, S.M. ne pourra empêcher les habitants de se révolter contre cette autorité 12 . »
Un dauphin
Ces questions politico-religieuses affectent peu la Cour. Les modes nouvelles, les intrigues et les grossesses de la reine la préoccupent davantage. On sait que le souverain accomplit régulièrement son devoir conjugal. Après la naissance des jumelles,la reine a accouché d’unetroisième princesse au mois de juillet 1728. Désespérée de ne pas donner d’héritier au trône, elle a voulu implorer la Vierge à Notre-Dame de Paris et faire une neuvaine à sainte Geneviève. En pleine offensive antijanséniste, le moment était mal choisi. Beaucoup de Parisiens traitaient de mômeries de telles démonstrations religieuses et reprochaient au roi de ne pasavoir organisé l’entrée de son épouse dans la capitale comme le voulait la coutume. Cependant, après avoir consultéle cardinal,Louis XV se rendit aux vœux de la reine qui lui demanda, en outre, de faire ordonner les prières des quarante heures pour que Dieu accorde un dauphin au royaume.
Le 4 octobre, le cortège de Marie quitta Versailles pour Paris avec le même apparat que lors de n’importe quelle sortie, c’est-à-dire avec quatre carrosses à huit chevaux accompagnés de vingt gardes à cheval, de pages et d’une douzaine de valets de pied. Une foule immense bordait la route sur tout le trajet, tant les habitants étaient curieux de voir cette reine polonaise et de jouir d’un fastueux spectacle. Marie portait une robe de cour festonnée de couleur chair, constellée de diamants. Dans ses cheveux resplendissait le Sancy, l’un des plus beaux joyaux de la Couronne. À Notre-Dame, elle pria longtemps et fit ensuite un long tour dans la ville.L’avocat Barbier, qui la contempla pendant quelques instants, la trouva « petite, plus maigre que grasse, point jolie sans être désagréable, l’air bon et doux ce qui ne donne pas la majesté requise à une reine ». Il ajoute assez perfidement que la capitale qu’elle découvrait était
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