Le temps des illusions
la compétence d’un concile provincial, auquel il ne reconnaît aucun droit pour juger son refus de la bulle. N’étant pas le seul « appelant 9 », l’appel contre la bulle concerne l’ensemble de l’Église, par conséquentil en appelle au concile général. Le 11 août, dès son arrivée, il écrivit au roi qu’il récusait comme juges les évêques réunis à Embrun.
Le 16 août 1727, lors de la cérémonie d’ouverture, Mgr de Tencin prononce un discours menaçant pour les jansénistes : « Si des loups couverts de la peau des brebis viennent au troupeau, dit-il, il est de notre devoir de les discerner et de les éloigner. » Si on n’avait pas compris le sens de ses paroles, il ajoute qu’il « déposera les pasteurs » indignes. Le lendemain, il fait un sermon théâtral écrit en réalité par…Houdart de La Motte, mauvais auteur d’opéra, mais poète à la mode qui sait trouver des formules percutantes.
Dès la première séance du concile, lepère Gaspard d’Hugues, recteur de la chapellenie de Saint-Joseph, attaque l’instruction pastorale de Soanen déclarant qu’elle contient « des principes monstrueux » et demande qu’il désavoue, condamne et rétracte cette somme hérétique. Dans un silence impressionnant,Soanen se lève, proteste contre cette sommation, maintient son instruction pastorale et la paraphe à chaque page. Le père d’Hugues réclame aussitôt que l’assemblée la condamne. Mais on lui fait remarquer qu’il convient auparavant d’examiner l’acte notarié établi par Soanen déniant au concile le droit de le condamner. Après un examen de pure forme, les prêtres déclarent l’acte « nul, abusif et frivole » et décident de procéder à l’examen de la pastorale. À ce moment, Soanen se lève à nouveau et récuse ses juges. Il commence parTencin qu’il accuse de simonie à propos du prieuré de Merlou 10 . Ensuite, il s’adresse aux autres prélats en affirmant qu’ils sont venus là uniquement pour l’accuser et le juger. Après ces déclarations, le vieil évêque quitte la salle.
Le lendemain et les jours suivants, Tencin essaie de faire revenir Soanen, qui persiste dans son refus de participer au concile. Le 19 août, on lui porte un décret frappant de nullité son acte de récusation. Le concile, bien décidé à le juger, fait appel à de nouveaux prélats connus pour leur hostilité au jansénisme. En attendant leur arrivée, les routes de Provence n’étant pas les meilleures du royaume, Soanen a le temps d’envoyer une lettre à tous les évêques de France énumérant quatorze griefs contre le concile.
Le 7 septembre, les nouveaux évêques étant parvenus à Embrun, Mgr de Tencin fait célébrer un Te Deum auquel il défend àSoanen d’assister, sous prétexte que sa présence empêcherait plusieurs prêtres de s’y trouver ! Le lendemain, Soanen est sommé de comparaître devant le concile. N’ayant pas l’intention de se laisser intimider par une assemblée dont il ne reconnaît pas la compétence, il déclare hautement qu’il n’est pas venu pour être interrogé et jugé. Pour sa défense, il lit l’acte d’appel contre la bulle signé par lui en 1717 ! Sa lecture achevée, il quitte la salle.
L’assemblée indignée le laisse partir. Tencin, encouragé par une lettre du pape qui l’exhorte à la fermeté, fait sortir les membres du clergé du second ordre afin de délibérer avec les seuls évêques : déclarée séditieuse et contraire aux lois de l’État, l’instruction pastorale de Soanen est condamnée ; aucun fidèle ne pourra la lire sans encourir l’excommunication ; enfin l’évêque de Senez est suspendu, relevé de ses fonctions épiscopales et assigné à résidence dans l’abbaye de La Chaise-Dieu en Auvergne.
La révolte des brebis
On ne parle plus que du « brigandage d’Embrun » qui déchaîne l’opinion. Il n’y a que les évêques et les abbés de cour pour se ranger du côté des constitutionnaires. Tout le second ordre du clergé, la plus grande partie des bourgeois de Paris, les gens de robe et même les femmes du peuple se répandent en invectives contre les Jésuites.Soanen, victime immolée à la fureur de Tencin et des constitutionnaires, passe pour un saint martyr. Pamphlets, chansons, gravures hostiles aux Jésuites inondent Paris et les provinces. Sur l’une des estampes représentant l’assemblée du concile, on voit l’évêque de Senez en bas comme
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