Le temps des illusions
l’accusé, la tête nimbée d’une auréole. Derrière lecardinal de Tencin se tient un jésuite qui lui met des lunettes sur le nez pour lire un papier qu’il lui tend comme pour lui dire : « Voilà le jugement tel qu’il faut que vous le rendiez. » Sur les fauteuils de côté sont assis des jésuites tenant chacun un évêque sur leurs genoux.
De Londres où il se trouve encore,Voltaire a envoyé une ode fustigeant le concile et ses décisions. Enfin circule sous le manteauun nouveau journal bien informé, écrit dans un style mordant, Les Nouvelles ecclésiastiques . C’est l’organe des jansénistes, qui rencontre un extraordinaire succès bien qu’il soit interdit. Il bénéficie de complicités dans tous les milieux et sa diffusion surprend lecardinal de Fleury, qui ne s’attendait guère à de telles réactions. Une déclaration royale fait défense sous peine du carcan d’imprimer cette feuille, mais elle continue de paraître. Le débat dépasse le monde ecclésiastique dont le second ordre mené par les curés de la capitale était le fer de lance. Les robins, les bourgeois de Paris et même les petites gens se liguent contre cette offensive qualifiée de jésuitique.
Le 30 octobre 1727, cinquante avocats du barreau de Paris ont rédigé un mémoire fondé sur des textes juridiques pour établir la nullité du concile. C’est un véritable réquisitoire contre la bulle, contre la cour de Rome et aussi contre la politique de Fleury. Aussitôt interdit, ce mémoire circule clandestinement. Douze évêques jansénistes, les curés de Paris et cinq cents autres ecclésiastiques soutiennent les avocats. Ils ont adressé une lettre au roi où ils font l’éloge deSoanen, frappent de nullité le concile et exigent qu’on autorise l’évêque de Senez à faire appel comme d’abus au Parlement. Ils s’adressent en même temps au procureur général du Parlement pour qu’il s’oppose à l’enregistrement du concile d’Embrun.
Aussitôt, Fleury a réuni une conférence de cardinaux et d’évêques constitutionnaires qui ont condamné le mémoire des avocats accusés de préconiser la démocratie dans l’Église. Conforté par ce jugement, il a fait annuler la demande des ecclésiastiques jansénistes par le Conseil d’État. En même temps, le lieutenant de police a fait procéder à des perquisitions et des arrestations. La Bastille accueille chaque jour de nouveaux pensionnaires. Les exempts font la chasse aux colporteurs, brisent les presses susceptibles de publier des feuilles jansénistes. Cependant, en dépit de ces mesures, libelles et gravures fleurissent de toutes parts et Les Nouvelles ecclésiastiques continuent de paraître, attirant de plus en plus de lecteurs. Tous ces écrits tirent à boulets rouges contre les Tencin. Ils dénoncentla « religieuse » qui se livre à une intense activité de journaliste. De son appartement de la rue Saint-Honoré partent des textes qu’elle fait imprimer et distribuer à ses frais. Elle reçoit évêques et archevêques qui seconcertent avec elle sur la conduite à tenir. Ce petit monde a le vent en poupe et chante déjà victoire.
Tandis que se poursuit la traque des réfractaires,Fleury met tout en œuvre pour obtenir la soumission de l’archevêque de Paris, Mgr deNoailles, lequel, on s’en souvient, est l’un des quatre appelants de 1717 11 . Si ce grand seigneur, chef prestigieux de la résistance à la bulle, finit par l’accepter, le cardinal de Fleury est persuadé qu’il aura écrasé l’hydre janséniste. À près de quatre-vingts ans, Mgr de Noailles est un vieillard fragile que sa famille exhorte à la soumission en lui faisant craindre l’excommunication. Il a cédé une première fois, mais il s’est rétracté ; il est ensuite revenu sur cette rétractation. De palinodie en palinodie, Fleury a obtenu ce qu’il voulait : Mgr de Noailles a finalement accepté la bulle le 11 octobre 1728. Sous la protection des archers de la ville, des colleurs d’affiches ont apposé un mandement de l’archevêque dès le matin sur toutes les portes des églises de Paris. Ce revirement indigne les ouailles de Mgr de Noailles. Les uns disent qu’il a été manipulé par les Jésuites, les autres l’accusent de pusillanimité et on rappelle que la grande persécution des jansénistes avait commencé avec la destruction du couvent de Port-Royal auquel il avait personnellement consenti en 1709.
Fleurya suspendu les
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