Le temps des illusions
en plus large. Partant de considérations concernant l’Église, ils attaquent les institutions du royaume. Le mémoire de l’avocat François de Mairemberg comparant la structure de l’Église avec celle de l’État monarchique inquiète le pouvoir. Il affirme que le Christ communique son autorité spirituelle à l’Église universelle (évêques, curés, prêtres et fidèles). Cela implique que toute décision du pape devrait être soumise à une discussion générale. Après un certain nombre de démonstrations appuyées sur d’anciens textes juridiques, il en conclut que la nation est une entité distincte du roi, capable de dialoguer avec lui d’égal à égal et il voit dans le Parlement « le sénat de la nation ». De ce fait, les lois sont des conventions entre gouvernants et gouvernés. Mairemberg ajoute même que les ordonnances émanant des états généraux sont supérieures à celle du souverain. Ce texte révolutionnaire a aussitôt été condamné par le Conseil du roi et les avocats ont été contraints de désavouer cette lecture antiabsolutiste, même s’ils l’approuvent sans oser le proclamer.
Le Parlement n’a pas l’intention de rester inactif. Au mois de novembre 1731, les magistrats ont voulu faire part de leurs protestations au roi. La bulle, on le sait, avait été enregistrée par lit de justice en 1720 sans qu’ils aient pu faire la moindre observation. Non seulement les querelles d’interprétation des textes religieux sont désormais interdites, mais la bulle érigée en loi empêche le Parlement de recevoir les appels comme d’abus introduits par les ecclésiastiques contre leurs supérieurs hiérarchiques. Les parlementaires n’admettent pas cette limitation de leurs compétences. À la rentrée judiciaire de novembre 1731, ils ont voulu porter leurs doléances au roi qui se trouvait à Marly avec la Cour, mais ils ne trouvèrent ni S.M., ni le cardinal, pas même un ministre ; ils durent s’en retourner à Paris. Fort dépités par cette rebuffade, ils exigèrent que le premier président demande officiellement audience àLouis XV. Le monarque le reçut brièvement, refusa de l’écouter et lui fit part très sèchement de son mécontentement. Les magistrats revinrent à la charge afin d’être reçus en groupe. Le souverain accepta d’accueillir les présidents et les doyens des conseillers. Cependant, on les prévint qu’ils ne pourraient pas prendre la parole après le roi.
Le roi et lecardinal étaient bien décidés à briser net leurs prétentions. Les magistrats furent conduits solennellement dans la chambre de parade du feu roi. Entouré par le cardinal et d’Aguesseau, le garde des Sceaux,Louis XV, la mine sévère, leur manifesta une fois encore son mécontentement avant de laisser la parole à son chancelier : « Le pouvoir de faire les lois et de les interpréter est essentiellement et uniquement réservé au roi. Le Parlement n’est chargé que de leur exécution ; il doit se renfermer exactement dans les bornes de l’autorité qu’il plaît à S.M. de lui confier pour l’administration de la justice. Le roi connaît toute l’étendue des droits de sa suprême puissance et il n’a pas besoin d’être excité à maintenir les maximes du royaume. Il a toujours empêché et empêchera toujours qu’elles ne souffrent la moindre atteinte. Mais la plus inviolable des maximes qui regardent l’autorité royale est qu’il n’est jamais permis de manquer à l’obéissance qui lui est due. Le devoir le plus essentiel et le plus indispensable des magistrats est d’en donner l’exemple aux autres sujets du roi et de prouver leur soumission personnelle par les effets beaucoup plus que par les paroles. »
Le roi congédia ces messieurs en ajoutant que telle était sa volonté et il leur déclara : « Ne me forcez pas à vous faire sentir que je suis votre maître. »
On ne pouvait rêver plus belle affirmation de l’absolutisme, mais ces messieurs, outragés par un tel discours, étaient prêts à réagir à la première occasion. Elle ne tarda pas. Mgr deVintimille fit un mandement pour déclarer hérétiques les auteurs des Nouvelles ecclésiastiques et frapper d’excommunication ses lecteurs. Vingt curés de Paris refusèrent de monter en chaire pour le lire aux fidèles et se pourvurent au Parlement. C’en était trop. Aussitôt, le Conseil du roi interdit aux parlementaires d’examiner un appel « concernant
Weitere Kostenlose Bücher