Le temps des illusions
l’Église » et fit arrêter deux conseillers jugés trop virulents. En signe de protestation, les magistrats se mirent en grève, mais une lettre de cachet les obligea à reprendre leurs fonctions. Ils obtempérèrent à l’ordre royal en lançant un défi au souverain : ils reçurent l’appel comme d’abus des curés contre le mandement de Mgr de Vintimille. Quelques jours plus tard, le 15 juin, le Conseil du roi arrêta quatre nouveaux magistrats et annula l’appel du Parlement. Dans un élan presque unanime, ces messieurs donnèrent leur démission, ce que l’avocatBarbier considéra comme « le plus grand événement que l’on ait vu depuis le début de la monarchie ». Il semble avoir la mémoire courte !
La première émotion passée, les parlementaires menacés de perdre leur office, autrement dit l’abandon de leur statut et d’une partie non négligeable de leur fortune, reprirent le chemin du Palais de Justice. Convoqués à Versailles pour un lit de justice, ils durent enregistrer sous la contrainte une déclaration disciplinaire rendant toute déclaration royale applicable avec ou sans les remontrances du Parlement. Les remontrances se trouvant ainsi interdites, les magistrats reprirent leur grève, bien persuadés queLouis XV finirait par céder. Le Conseil du roi ne s’avoua pas vaincu. Il exila cent trente-neuf magistrats dans les provinces. La crise dura tout l’été. Ces messieurs, qui se morfondaient dans leur exil, savaient que le cardinal aurait besoin d’eux pour voter les subsides pour une guerre qui se préparait à propos de la Pologne. Mgr deFleury les a en effet rappelés au début du mois de novembre 1732. Afin d’être sûr de les amadouer, la cardinal a suspendu la déclaration disciplinaire de l’été. En revanche, il est parvenu à convaincre les parlementaires d’approuver la bulle Unigenitus comme loi de l’État.L’absolutisme triomphe malgré la résistance des magistrats et des avocats qui semble matée.
Les rendez-vous des gens les plus aimables de Paris
Les querelles politico-religieuses ne passionnent pas les mondains, qui ont d’autres préoccupations et des héros plus discrets. À Paris, l’étoile deMarivaux brille toujours davantage. Et pourtant cet élégant poète de la vie quotidienne reste discret. Les femmes l’adorent tant il est épris de leur grâce et de leur esprit. Il connaît les ressorts secrets du cœur et ne croit guère à l’alliance du désir et de la raison. Ses héros sont anxieux ; ils se masquent pour mieux se démasquer, se trompent pour n’être pas trompés et se trompent eux-mêmes. Avec lui, le désir se cache à lui-même et les amants ne maîtrisent pas leur histoire. Il vient de livrer au public Le Jeu de l’amour et du hasard que Paris applaudit ainsi que le premier volume d’un roman, La Vie de Marianne , qui fait concurrence au Manon Lescaut de l’abbéPrévost. Marianne ne ressemble guère à Manon. C’est une jeune fille vertueuse, une enfant trouvée recueillie par une noble dame qui l’élève comme sa fille, mais sa naissance obscure l’empêchera d’être reconnue dans la société. La critique est sensible quoique discrète. Marivaux n’a rien d’un révolutionnaire, mais ce qu’il fait dire à ses personnages a tout l’air d’un constat mélancolique sur les mœurs du temps. Il s’insurge doucement contre cette cascade de mépris qui marque les relations humaines dans la société française.
Il est depuis longtemps le familier du palais lambertin où il triomphe, dissertant joliment de la morale et des intermittences du cœur. La marquise deLambert continue de recevoir chez elle l’élite des lettres françaises, mais elle vieillit. Ses hôtes se retrouvent souvent chez Mme deTencin qui s’est refait une virginité depuis le concile d’Embrun. Son engagement dans la cause des Jésuites a donné un sens nouveau à sa vie, cependant elle ne parle guère de religion. Pour l’heure, elle ne songe plus à gouverner la France ; elle est tout à sa passion pour la littérature. D’ailleurs, elle écrit un roman. Elle en parle avec ses amis. Certains se retrouvent dès le matin, dans sa ruelle ou dans son boudoir, là même oùLa Fresnaye s’est suicidé. Elle a changé mais reste belle : lamaturité lui va bien. Elle reçoit ses hôtes habillée simplement, coiffée d’un voile bleu qui retombe nonchalamment sur sa gorge. Elle aime mieux qu’on pense bien de son intelligence
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