Le temps des poisons
réprouvés. Ces gens-là étaient toujours sur leurs gardes, vigilants, et distinguaient souvent ce qui échappait aux autres.
—
Le prêtre est un homme bon, continua Hawisa. Sa sœur aussi. Ils sont bienveillants. Grand-mère Croul était gentille, c'est pour ça que je suis venue chanter. Je serais volontiers entrée dans l'église mais, c'est vrai, j'ai aperçu cette silhouette noire qui courait sous le soleil, rapide et furtive comme un rat.
—
Qui cela pouvait-il être ? interrogea Kathryn.
—
N'importe qui de Walmer, y compris le grand seigneur. Ils ont tous leurs secrets. C'est moi qui ai trouvé le corps de Lady Mary, vous savez. Je découvre beaucoup de choses sur la grève.
Elle se détourna et tira un sac de cuir vers elle.
—
J'appelle ça mes trésors. Voulez-vous les voir ?
Hawisa ne quittait pas des yeux la broche que
Kathryn avait fixée à sa mante, cadeau d'un de ses patients qui s'était rendu à la châsse de Thomas Becket. La jouvencelle tendit la main et effleura l'argent. Marmonnant entre ses dents, elle ouvrit le sac et en vida le contenu sur le sol. Elle fouilla parmi les coquillages polis et les babioles. Un beau bouton d'argent retint l'attention de Kathryn. Elle le ramassa et reconnut le blason.
—
Le Bâtard de Faucomberg !
—
Le quoi ? s'étonna Hawisa.
Kathryn retourna l'objet.
—
Où l'avez-vous trouvé ?
Hawisa pinça les lèvres et se tapota la narine.
—
Je vous donnerai ma broche en échange.
La jouvencelle sourit et acquiesça d'un signe de tête. Kathryn ôta le bijou et le lui tendit.
—
Et maintenant, dites-moi où vous l'avez trouvé. Quand ces hommes ont été tués ici ?
Hawisa secoua la main.
—
Puis-je avoir le bâton de frêne ? J'aime marcher avec une bonne canne.
Kathryn le lui céda. Hawisa se leva et, prenant son interlocutrice par la main, l'entraîna vers l'allée du cimetière et désigna les marches de Saint-Swithun.
— Là, dit-elle.
Elle s'accroupit et écarta l'herbe qui poussait entre les pierres.
—
Je l'ai trouvé ici, avant qu'on les enterre, et je l'ai pris. Je crois qu'il leur appartenait. J'étais au village le jour où ils y sont arrivés. J'ai vu leur blason. Ils n'auraient pas dû venir ici. Il ne faut pas attendre d'aide des démons. Je dois aller faire mes adieux à grand-mère Croul, à présent.
Elle monta les marches en frappant les dalles de son bâton.
— Oh, Maîtresse Swinbrooke !
Hawisa se retourna avec un grand sourire.
—
Je vous ai dit que je trouvais des choses. J'ai découvert un corps ce matin. Je l'ai dit à Lord Henry.
Elle tapota la petite bourse pendue à sa ceinture.
— Il m'a donné une pièce d'argent.
—
Le corps de qui ? demanda Kathryn en faisant un pas en avant.
—
Celui du prêcheur aux yeux flamboyants. Il était au milieu des rochers. La mer l'a recraché. Il avait la gorge tranchée d'une oreille à l'autre, ajouta-t-elle en mimant le geste du doigt. Il était vidé de son sang, comme un porc à l'étal du boucher. Adieu, médecin. Vous ne pouvez rien pour lui.
Kathryn, pressée d'arriver au manoir, se hâtait déjà sur le chemin du village. Elle glissa une fois sur les pavés mais réussit à garder l'équilibre. En voyant
l'hôte de leur puissant seigneur passer à toute vitesse dans la grand-rue, blême et éperdue, les gens, prudents, s'écartaient à son approche.
Elle gravit le sentier vers le portail et trouva Lord Henry et Colum dans la cour. Le cadavre du prêcheur avait déjà été enveloppé dans un linceul de toile d'où émergeaient ses pieds chaussés de sandales et trempés d'eau de mer.
Colum s'approcha de son épouse et lui prit les mains.
—
Kathryn, vous êtes pâle. Il y a de l'herbe sur votre mante.
Kathryn se contenta de fixer les sandales ruisselantes.
—
C'est une étrange jeune femme qui l'a trouvé, murmura Colum.
—
Je sais, répondit Kathryn. Je l'ai rencontrée dans le cimetière.
Lord Henry, vêtu avec élégance d'une tunique bleu foncé à col haut dont il avait relevé les manches de velours pour laisser apercevoir les manchettes d'un blanc de neige, s'avança.
—
Vous avez mis plus de temps que je ne croyais, remarqua-t-il.
Il jouait avec la chaîne d'argent qu'il portait au cou comme d'autres auraient égrené un chapelet. Il semblait calme et maître de lui.
—
Assassiné ! annonça-t-il en désignant le corps d'un mouvement de la tête. On lui a coupé la gorge et on l'a jeté du haut de la
Weitere Kostenlose Bücher