Le temps des poisons
faible d'esprit. Elle habite avec sa mère à l'autre bout du village, dans une petite maison sur le chemin qui conduit à l'océan. Sa mère est la veuve d'un trouvère. Ils se sont installés ici il y a quelques années. Il a été poignardé à mort dans une rixe de taverne. Personne n'a jamais découvert qui avait porté le coup fatal. Hawisa est née quatre mois plus tard. On dit que c'est l'œuvre des fées.
—
De quoi parlez-vous ?
—
Vous verrez, Maîtresse Swinbrooke. Elle se tient à l'écart de cet endroit, mais, de temps à autre, elle vient y chanter ses chansons.
Parfois elle prend du lait et du miel, parfois elle se contente de me dévisager ou de me demander où son père est enterré. Ce n'est pas vraiment une enfant, plutôt une jeune femme. On prétend que son père a été occis par un des naufrageurs.
Amabilia commença à remonter l'escalier puis s'arrêta à mi-chemin.
—
Le mal rôde à Walmer. Mon frère dit que les anciens péchés l'empestent ; méfiez-vous.
Serrant le bâton de frêne, Kathryn descendit l'allée sinueuse qui menait au porche du cimetière. Elle s'immobilisa juste devant et regarda la bande herbeuse qui bordait l'enclos. Hawisa y était installée et lui tournait le dos. Ses cheveux de neige tombaient sur sa robe bleu foncé reprisée avec soin. Kathryn s'assit contre le mur et posa son gourdin près d'elle. Hawisa ne cessait de se balancer d'avant en arrière.
—
Etes-vous une guérisseuse ?
—
J'essaie de l'être, répondit Kathryn.
—
Vous a-t-il blessée ? J'ai vu une silhouette, noire comme la nuit, qui passait par-dessus le mur. Ses mains étaient gantées et noires.
—
L'avez-vous aperçu ?
—
J'ai aussi entendu vos cris, mais c'est un endroit sanglant. Vous n'êtes pas en sécurité, même si vous vivez dans un manoir. La mort surgit sous maintes formes. Que l'on soit homme ou femme, bon ou mauvais.
—
Avez-vous vu mon assaillant ? s'enquit Kathryn en tentant de garder son calme. Ne vous trompez-vous pas ?
—
J'ai vu ce que j'ai vu.
Hawisa se retourna et s'avança à quatre pattes vers la jeune femme, qui cacha sa surprise de son mieux. Hawisa était albinos. Sa peau était d'un blanc de lait et ses yeux bleus cernés de rose. Elle possédait une beauté étrange. Kathryn eut envie de caresser son visage lisse et pâle comme de la nacre, et ses cheveux blancs comme la neige fraîchement tombée. Malgré sa robe raccommodée, elle était d'une propreté irréprochable et sentait bon la menthe et l'eau de rose.
— Êtes-vous choquée ?
—
Je suis étonnée, répondit Kathryn en riant. Vous avez une belle voix.
— C'est ma mère qui m'a appris.
Hawisa s'agenouilla près de Kathryn, si près que son genou toucha la cuisse de cette dernière.
Elle scrutait le visage de Kathryn comme l'aurait fait une enfant, en se demandant ce qu'elle devait en penser.
—
Je vous ai vue traverser la place du marché. J'ai entendu ce que vous disiez à ce porc de sergent quand vous lui avez demandé de libérer les gens du pilori.
Elle posa un doigt à l'ongle long sur la joue de Kathryn, puis elle essuya la trace de sueur sur le front de l'apothicaire.
—
On reconnaît l'arbre à ses fruits, la gentillesse à ses actes, énonça-t-elle.
Puis elle s'interrompit et embrassa Kathryn en plein sur les lèvres.
—
C'est ce qu'a essayé le bedeau, commenta-t-elle en riant et en reculant. On me croit simple. Il m'appelait le connil effarouché. Et le sergent aussi.
Elle tendit soudain son autre main et brandit un dangereux couteau à la longue lame acérée.
—
Je leur ai dit que je leur couperais la queue ! Vous n'avez pas peur, n'est-ce pas, Kathryn ?
— Comment connaissez-vous mon nom ?
— Tout le monde le connaît.
— Et que savez-vous sur le village, Hawisa ?
—
Certains sont bons, d'autres mauvais, et d'autres ni l'un ni l'autre.
Adam l'apothicaire avait l'âme noire. Ma mère m'a dit qu'il empoisonnait les gens. Un jour, il a voulu me tenter en proclamant qu'il pouvait me vendre une poudre qui changerait la couleur de mes yeux !
— Et?
Kathryn se rendait compte que le soir tombait, que le soleil se couchait et que le vent de la mer forcissait, mais cette créature énigmatique la fascinait. Elle en avait rencontré de semblables auparavant. Des hommes et des femmes qui, à cause de leur réputation ou de leur aspect, étaient repoussés en marge de la vie, exclus des petites choses quotidiennes, traités en
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