Le temps des poisons
Où sont les objets personnels de Delacroix ?
— Nous avons déjà exploré sa chambre !
— Recommençons.
Ils repartirent vers l'appartement de Delacroix. L'intendant expliqua que le vicomte en personne avait insisté pour empaqueter les possessions du défunt. Ils ouvrirent coffres et fontes.
— Mon Dieu, qu'est-ce donc ?
Kathryn leva les yeux. Murtagh avait renversé le plus grand des coffres et éparpillé les habits, les pourpoints, les hauts-de-chausses, les bottes et un ceinturon. Il y avait aussi deux robes et une cassette de bois décorée d'une figure de femme. Kathryn la prit, l'ouvrit et pouffa de rire.
— Des fards ! s'exclama-t-elle.
Ils reprirent leur tâche. Ils découvrirent d'autres articles : un tour de cou trop long pour la jeune femme, une fiole de parfum. Lord Henry se mit à rire.
—
J'ai ouï des racontars. Comment avez-vous deviné, Maîtresse Swinbrooke ? Delacroix aimait-il s'habiller en femme ? Il existe, à Londres, des tavernes, des maisons de rencontre, où les hommes peuvent se déguiser en dames et jouer les catins dans la grand- salle.
Il s'interrompit, ferma les yeux, puis, de joie, battit des mains.
—
Marshall ! Voilà la femme qu'il devait voir. Il a découvert le secret de Delacroix et on l'a occis.
— Peut-être, répondit Kathryn d'un ton évasif.
— Que voulez-vous dire ?
— Les choses sont plus compliquées qu'il y paraît. Remettons tout en place, sauf ces babioles. Lord Henry, demandez à votre valet d'apporter un coffre de voyage, d'y ranger ceci et de le descendre à la bibliothèque. Attendons le retour des Français.
— Kathryn, la prévint Colum, vous devriez nous dire la vérité.
—
Colum, mon cœur, moi-même ne suis sûre de rien. Je vais capturer le meurtrier grâce à un mensonge. Je l'ai déjà fait. Si je me trompe, ajouta-t-elle avec un clin d'œil, Lord Henry pourra me blâmer.
Bon, dans l'immédiat, j'aimerais manger quelque chose.
Elle s'éloigna avant que son mari puisse la questionner plus avant et gagna la grand-salle où les serviteurs préparaient le souper. Lord Henry et Murtagh la rejoignirent. Tous les deux tentèrent de l'interroger mais elle désigna les valets. Ils renoncèrent donc et laissèrent Kathryn se restaurer en paix.
Ensuite elle retourna dans sa chambre et s'étendit quelques instants sur le lit pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Elle s'assoupit et fut réveillée par des cris. Les Français étaient revenus ! On frappa à l'huis et Kathryn répondit. L'intendant du seigneur, tout agité, battant l'air des mains, la pria de descendre dans la bibliothèque.
—
Les Français, geignit-il, sont hors d'eux. J'ai peur pour mon maître.
Kathryn s'empressa de se rendre présentable. Quand elle arriva à la bibliothèque, Lord Henry et Sanglier en étaient presque venus aux mains. Nez à nez, ils criaient, s'abreuvaient d'insultes et rappelaient de vieux griefs, alternant, dans leur rage, l'anglais et le français. Lord Henry saisit le pommeau de sa dague : Cavignac, debout derrière Sanglier, avait déjà tiré son épée tandis que Colum posait le plat de la sienne sur son épaule. Kathryn alla s'asseoir sur une chaire. Elle prit un pichet de bière et le jeta au sol.
— Messeigneurs ! cria-t-elle. J'ai une histoire à vous narrer.
Le vicomte lui répondit par un chapelet d'obscénités. Cavignac rit.
Colum aurait bondi si Lord Henry n'était intervenu, les bras levés pour lui barrer le passage.
Kathryn adressa un sourire angélique à Sanglier.
—
Messire, vous êtes de noble naissance : quelle que soit votre rancœur, ne pouvez-vous m'accorder, à moi, une dame, un peu de votre temps ?
Le vicomte respirait à grand bruit, feignant le courroux. Kathryn put constater qu'en fait il s'amusait beaucoup.
— Asseyez-vous donc, Messire, proposa-t-elle en tapotant le bord de la table.
Sanglier obtempéra, suivi par Cavignac. Ils s'installèrent en face de la jeune femme pendant que Lord Henry et Murtagh prenaient place un peu plus loin.
— Je suis navré, madame ', dit Sanglier en s'emparant de la main de Kathryn et en lui baisant le bout des doigts avant qu'elle ait pu s'y opposer. Je vous présente toutes mes excuses pour m'être laissé emporter, mais un envoyé du roi de France, de Sa Majesté Très Chrétienne, a été vilement assassiné. Nos sceaux ont été brisés, nos biens fouillés...
— Et vous, Messire le vicomte, répondit-elle d'une voix douce, vous avez violé la paix de
Weitere Kostenlose Bücher