Le temps des poisons
cela qu'il vous donnait une boisson tous les soirs. Qu'était-ce ? Du petit-lait ou de la bière ? Additionnée d'une poudre somnifère ! Vous ne vous éveilliez jamais tôt le matin, vous dormiez d'un sommeil durable et profond, jusqu'à une heure avancée ; votre fils pouvait ainsi avoir un peu de paix. Le roi et son armée auraient pu défiler ici que vous ne l'auriez point remarqué !
— Je ne prenais aucune de ses poudres. Oh, votre Irlandais s'est endormi.
Murtagh se réveilla en sursaut.
—
Lui
avez-vous
administré
quelque
poudre,
Maîtresse
Swinbrooke ?
Kathryn fit mine de s'en aller.
—
C'est vrai, c'est vrai, s'empressa de reprendre Mathilda, Adam me faisait boire des potions. Je m'y suis d'abord opposée, mais elles me calmaient. Je pouvais dormir et rêver.
—
Savez-vous ce qui s'est passé ? insista Kathryn. Le matin où votre fils a été assassiné, quelqu'un a monté l'escalier extérieur, a traversé votre chambre, est descendu dans la cuisine et a versé le poison dans le gobelet.
Elle prit une autre pièce dans son escarcelle.
—
A présent, Maîtresse Mathilda, vous allez m'expliquer comment le tueur savait quel gobelet choisir.
La vieille femme se mit à sangloter, le visage dans les mains, les épaules tressautantes. Kathryn vit ses larmes à travers ses doigts écartés.
—
Vous ne regrettez point le trépas de votre fils.
Elle se pencha et enleva la main de Mathilda.
—
Maintenant, vous possédez cette maison et tous ses biens. Vous pouvez engager des gens pour s'occuper de vous comme une grande dame en son château.
Vous ne pleurez pas vraiment Adam. Vous étiez un fardeau pour lui et vous, vous ne l'estimiez guère plus.
—
C'était un meurtrier et un voleur, s'indigna Mathilda d'un ton vertueux. Il faisait semblant d'avoir du chagrin ; en fait il a tué sa harpie d'épouse.
—
Et le gobelet ? demanda Colum.
Bien qu'il n'eût d'abord accompagné Kathryn qu'à contrecœur, il était à présent intrigué. Il tira sa dague et la posa sur le lit.
—
Le gobelet ? répéta-t-il.
—
Il n'est point comme les autres, se hâta d'avouer la vieille femme, circonspecte devant la lame menaçante. Son oncle, mon beau-frère, était l'un des naufrageurs.
—
Ah ! s'exclama Kathryn en fermant les yeux et en se grattant le front. Je sais ce que vous allez dire. Le matin où je suis venue céans, j'ai constaté que ce gobelet pesait très lourd.
—
En fait, il est en argent, se rengorgea Mathilda, mais caché dans une gaine de cuir. Son oncle l'avait volé sur un bateau. Lord Henry avait demandé que tous les trésors de ce genre lui soient remis, sous peine de mort, or Adam ne voulait pas y renoncer.
—
Et il l'a donc dissimulé dans un étui de cuir, compléta Kathryn.
Oui, votre fils devait aimer ça, il devait apprécier de boire dans un tel récipient. L'assassin le savait aussi. Dites-moi, combien de personnes connaissent cette histoire ?
Mathilda allait secouer la tête en signe d'ignorance, quand Colum posa la main sur les siennes et appuya sans brutalité.
—
Adam s'en vantait. Bien des gens le savaient. Je suppose qu'il en avait parlé à quelques-uns et moi à d'autres. C'était l'un de ces secrets de village. Maintes maisons de Walmer recèlent encore du butin provenant des navires.
Kathryn se leva et se dirigea vers la porte intérieure. Elle descendit l'escalier mal éclairé. Rien ne semblait avoir changé depuis sa dernière visite. Mais l'endroit ne sentait pas aussi mauvais, la cuisine avait été balayée et fourbie, et les gobelets pendaient toujours à leurs crochets. Elle s'aperçut vite que celui qui avait de la valeur avait disparu. Elle en conclut qu'il avait été volé soit par l'assassin soit par un villageois qui avait appris le secret d'Adam. Elle regagna la chambre.
—
Je n'aurais jamais cru voir un Irlandais dans ma chambre ! fit remarquer Mathilda d'un ton rogue.
—
Si cela ne tenait qu'à moi, maugréa Colum, je serais le dernier à y mettre les pieds !
—
De quoi ? De quoi ?
Kathryn s'entremit avec diplomatie. Elle donna à la vieille femme une seconde pièce, la salua et poussa presque Colum dehors.
—
Vous auriez dû l'interroger plus avant, bougonna ce dernier quand ils furent en bas de l'escalier.
Kathryn avait les yeux rivés sur la ruelle, distraite par des chats qui se battaient sur un tas d'ordures. Quelque part, un enfant pleurait, un homme criait, et l'air nocturne apportait les accents
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