Le temps des poisons
n'ont pas immédiatement rejeté cette idée, vos soupçons se sont confirmés. L'Aragne de France pouvait s'interroger sur la vérité, or Sanglier n'était point en position de faire des commentaires, et moins on en disait sur la disparition de Marshall, mieux cela valait. Vous avez aussi compris que votre espion n'était pas allé à la pêche - pas dans le sens littéral -
mais qu'il participait au grand jeu. Il a eu tort de ne pas vous informer, mais...
Kathryn haussa les épaules.
—
... il voulait en être sûr. Marshall était jeune, impétueux et il désirait faire bonne impression sur ses maîtres. Il a cru que Cavignac, fort embarrassé, serait seul...
—
Était-il au courant de la relation illicite de Cavignac avec Sanglier ? s'enquit Murtagh.
—
Non, et ils l'ont tué pour qu'elle reste secrète, reprit Kathryn. Il se peut que Delacroix ait eu des soupçons, mais rien de plus. Les deux Français n'étaient que trop disposés à oublier le trépas de Marshall et à prouver leur valeur aux yeux de la royale Aragne en faisant passer Lord Henry pour un homme vulnérable. Ils sont arrivés céans en se pavanant comme des coqs, avides de profiter au mieux de la situation. L'apparition du prêcheur a tout changé. Rusé goupil, ce dernier vous a apporté de surprenants renseignements sur le meurtre de Marshall. Le voilà parcourant le village à grands pas, instillant la crainte de Dieu chez les habitants.
—
Pourquoi ? s'étonna le seigneur. Je le lui ai demandé. Il m'a répondu qu'il aimait ce rôle...
—
Billevesées ! déclara Kathryn en prenant une gorgée de vin.
C'était un félon, cherchant à dresser les uns contre les autres. Lui aussi avait ouï tous les bruits qui couraient sur le décès de Lady Mary, pourtant il était également intrigué par les empoisonnements. Il voulait savoir s'il y avait un rapport entre la venue des Français et ces crimes. Il n'y en avait pas, comme il l'a constaté.
— Et c'est alors qu'il a résolu d'intimider Cavignac ? s'enquit Murtagh.
—
En effet, acquiesça Kathryn. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Je suppose que le prêcheur était fort occupé, à Paris, à espionner à la fois pour votre compte et pour le sien, et qu'il est tombé par hasard sur la même fâcheuse découverte que Marshall avait faite à propos de Cavignac. N'oubliez pas, Lord Henry, que vous l'aviez en secret instruit de tous les détails sur la malemort de Marshall. Il a donc fait ses propres trouvailles et est rentré en Angleterre très satisfait : Lord Henry le récompenserait pour ce qu'il lui apprendrait sur la mort de Marshall, et, en même temps, il devrait révéler sa véritable identité, ce qui impliquait qu'il ne pourrait plus se rendre à Paris.
« Comme le mauvais serviteur des Évangiles, le prêcheur doit prévoir son avenir. Il approche le vicomte. Bien entendu, il n'appréhende pas l'entière vérité : Sanglier est furieux et redoute non seulement le prêcheur, mais le toujours curieux Delacroix avec lequel le prêcheur peut aussi prendre langue ; les deux hommes doivent donc périr.
—
Voilà pourquoi Sanglier n'a point trop protesté ni remis en cause les preuves, observa Colum. Votre hypothèse, Kathryn, a sa logique propre. Louis XI ne laisserait pas d'être surpris et n'oublierait jamais.
—
Ce ne sont pas seulement des complices de meurtre, mais des amants désireux de se protéger l'un l'autre, ajouta Lord Henry.
—
Et par conséquent hantés par la peur, murmura la jeune femme.
—
D'être arrêtés en Angleterre ? interrogea le seigneur.
—
Sanglier sera de retour en France, rétorqua Kathryn, avant de s'apercevoir que son arrestation, voire son exécution, dans notre pays serait de peu de profit pour la Couronne anglaise : lui et son compagnon seraient tout simplement remplacés par des hommes du même genre.
Kathryn se leva. Elle était lasse et avait envie d'être seule.
—
Je présume que le vicomte quittera le service royal.
Elle tapota l'épaule de Colum.
—
Mais, sa vie durant, il n'oubliera pas Walmer.
Lord Henry continua de boire à sa victoire. Murtagh, fier comme un paon de la réussite de sa femme, la suivit dans la cour.
Il l'étreignit, l'embrassa et la pria de se joindre à la célébration. Mais Kathryn, arguant de sa fatigue, retourna dans sa chambre.
Elle s'y reposa un moment en regardant les ombres s'allonger au soleil couchant. Un valet apporta aliments et vin. Elle grignota quelques
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