Le temps des poisons

armées et avancent toutes deux à l'aveuglette. On frappe fort, on peut blesser l'adversaire, voire le tuer. C'est un jeu à l'outrance 2 , c'est-à-dire à mort.
    —
    Mais ils ne sont point céans pour tuer, n'est-ce pas ?
    —
    Non, Kathryn, ils sont ici pour organiser le meurtre, répondit Colum en prenant une profonde respiration. Officiellement, Louis XI, 2 En français dans le texte. ( N.d.T.)

    l'Aragne royale, désire sceller un traité de paix éternelle avec Édouard d'Angleterre.
    Il eut un rire soudain.
    —
    On a, par le passé, signé ce genre de traité qui ne dure guère plus d'un an. Le véritable souci de Louis est d'éloigner les Anglais de France, de les enfermer à Calais et de les empêcher de prêter main-forte à son ennemi juré, Charles, duc de Bourgogne. Si Louis peut agir à sa guise en France, il mettra tous les grands seigneurs à sa botte. La puissance de son pays s'accroîtra. Notre souverain le comprend bien et il ne tient pas à pêcher dans le vivier de Louis. Ce qu'il veut, c'est obtenir une redevance annuelle en échange de sa bonne volonté et de la paix. Et il veut surtout que Louis de France expulse, ou lui livre, le dernier prétendant lancastrien, Henry Tudor.
    Lui et Jasper, son oncle, sont des épines dans le pied des York. Si Tudor était assassiné ou réduit à l'exil et à la misère, Édouard d'Angleterre n'en dormirait que mieux. Or, il y a environ six mois, Lord Henry Beau- champ se trouvait à Paris avec son clerc, William Marshall. Ce dernier vous aurait plu, Kathryn : c'était un bon danseur à l'esprit vif. Avec son doux visage de fille et ses cheveux noirs bouclés, c'était un vrai lion pour les dames. Il était intelligent et habile, capable de déchiffrer le code le plus compliqué. A ce qu'on en dit, il est allé pêcher dans la Seine et n'est jamais revenu.
    —
    Assassiné ?
    Colum fit une petite grimace.

    —
    On l'ignore. Son corps n'a pas été retrouvé. Selon Lord Henry, Marshall portait à cette époque un livre de codes, semblable au psautier d'un prêtre, relié de cuir. Il contenait, chiffré, le nom de tous les agents anglais à Paris et ailleurs, des marchands, des chaudronniers, des nobles, des érudits, des étudiants, des religieux.
    Des gens qui rassemblent des informations et les transmettent en Angleterre contre des faveurs ou de l'or. Il contenait aussi la clé permettant de traduire toutes les missives codées que la Chancellerie anglaise envoie en France.
    —
    Les Français l'ont-ils trouvé ?
    —
    Peut-être. Le corps de Marshall n'a jamais été découvert bien que la cour française ait commencé à laisser entendre qu'il se peut qu'elle ait mis la main sur le recueil.
    —
    Pourquoi alors les Français ne s'en servent-ils pas ?
    —
    Parce qu'il existe une prétendue trêve entre l'Angleterre et la France.
    —
    Ah, je vois ! dit Kathryn en souriant. Et si l'Angleterre la viole et entre en guerre avec la France ?
    —
    Louis et ses ministres, expliqua Colum, seront alors en droit d'arrêter tous ceux dont le nom figure sur la liste en tant qu'agents de la Couronne anglaise. Donc, cette trinité diabolique - Sanglier, Delacroix et Cavignac - a débarqué en Angleterre. Peut-être désirent-ils que la trêve se transforme en paix éternelle. Si Édouard d'Angleterre y consent sans recevoir de compensation financière de la cour de France ou sans exiger que Tudor soit expulsé, Louis laisse entendre que le livre des codes lui sera rendu.
    —
    Et sinon ?
    Colum haussa les épaules.
    —
    Édouard ne peut-il avertir ses espions ? interrogea Kathryn. La Chancellerie ne peut-elle modifier son chiffre ?
    —
    C'est plus facile à dire qu'à faire. Oh, le code a déjà été changé.
    Mais si Louis a découvert nos secrets et démasqué les affidés anglais cachés, à quoi bon envoyer des messages en France s'il n'y a personne pour les capter ?
    —
    Se pourrait-il que le chiffre ait déjà été décodé et que les Français soient prêts à agir ?
    —
    Nous en doutons, répondit Colum. Il est complexe et cela pourrait prendre des années. Louis ne l'ignore pas, et nous non plus.
    —
    Vous ne savez donc rien de la vérité ?
    —
    C'est un margouillis de mystères, dit Colum, pensif. Un vrai bourbier. Marshall est-il mort ou retenu vivant dans une prison française ? Le torture-t-on pour qu'il cède, qu'il avoue et traduise le livre des codes au bénéfice de ses geôliers ? Louis cherche-t-il simplement une excuse pour reprendre