Le temps des poisons

autres tinrent ce même genre de discours et Kathryn comprit que ses questions ne servaient pas à grand-chose.
    — Je vous remercie de votre hospitalité, mon père, dit-elle en se penchant en avant pour tapoter les mains du prêtre, jointes sur la table.
    Elle nota que la peau en était douce et lisse et que les écorchures dues à la taille des pierres étaient tout à fait guéries.
    — Il faut que je m'en aille, mon père. Je dois cependant vous poser à tous une question très importante, bien qu'elle ne demande point de réponse immédiate. Elle est en deux parties. Voici la première : pourquoi quelqu'un aurait-il empoisonné trois villageois de Walmer à la fin de septembre sans motif apparent ? Et la seconde : si le tueur a occis trois fois, pourquoi ne recommencerait-il pas ? Je veux croire que vous ferez tous grande attention à ce que vous avalerez.

CHAPITRE V
    « Tant éclatait la vertu dans son discours et avec même joie apprenait et enseignait. »
    Chaucer, Prologue général, Les Contes de Cantorbéry Le père Clement toussa et se leva.
    —
    Je voulais vous montrer mon église, Maîtresse Swinbrooke, à vous et à Maître Murtagh. Il m'est soudain revenu, ajouta-t-il en souriant, les yeux baissés sur la table, que nous étions si affamés, si pressés de manger que nous avons omis de dire le bénédicité. Alors,
    In nomine Patris et Filii.
    Il se signa et entonna les grâces.
    — Nous te louons, Dieu tout-puissant...
    L'assemblée se joignit à lui. Puis le prêtre la bénit et désigna le sac que Kathryn avait apporté.
    — Remettrez-vous ceci à Lord Henry ?
    —
    C'est mon devoir. Ce sont les biens d'un rebelle, que Dieu ait son âme. Lord Henry étant juge en la contrée, je suis certaine que soit il les vendra et distribuera l'argent au village, soit il...
    Elle ne termina pas sa phrase.
    —
    C'est à lui d'en décider.
    Les autres remercièrent le père Clement pour son accueil, saluèrent la jeune femme d'un signe de tête et s'en furent. Amabilia débarrassa la table. Le curé entraîna Kathryn et Colum dans la cour dallée et leur fit contourner l'église à laquelle ils accédèrent par la grande porte. Ils s'arrêtèrent sous le porche, presque aussi vaste qu'une pièce. Le père Clement leur expliqua qu'il avait sculpté de ses mains le bénitier ainsi que l'inscription qui le surmontait :
    —
    C'est un rappel, précisa-t-il avec un sourire. Mes ouailles pénètrent dans la maison de Dieu et sous le portail du Paradis.
    En entrant dans ce lieu saint Aspergez-vous le visage d'eau bénite.
    Il ouvrit la seconde porte et ils entrèrent. Directement en face d'eux, sur le mur, se trouvait un tableau - très semblable à celui de Sainte-Mildred à Cantorbéry - représentant saint Christophe portant l'Enfant Jésus. Kathryn se remémora la légende qui prétendait que, si on regardait cette image, on était assuré de voyager sans encombre ce jour-là. Elle se signa.
    Saint-Swithun était un édifice impressionnant de pierre et de bois peints et dorés. Les fenêtres en hauteur scintillaient de saphir, or et argent, couleurs qui devenaient fort populaires dans la décoration des églises. Des chapelles, à l'abri derrière des treillis de bois, contenaient un petit autel supportant la statue d'un saint. La plus importante était celle consacrée à Swithun. La longue nef entre ses piliers menait à un grand jubé sculpté qui ouvrait sur le chœur. Trois cercueils sur tréteaux, drapés de noir et entourés de cierges pourpres, y avaient été placés. Le prêtre esquissa une bénédiction à leur intention et fit faire à ses hôtes le tour de l'église en expliquant que les curés successifs, y compris lui-même, avaient engagé des peintres pour recouvrir les murs de fresques aux vives couleurs : la Vierge et le Christ en croix ; le loup, gardien de la tête tranchée de saint Edmond martyr ; les sept péchés capitaux opposés aux vertus cardinales ; une chouette assaillie par deux pies (illustrant l'idée que les vains bavardages pouvaient troubler la sagesse).
    Le père Clement précisa que l'église avait été bien dotée par les seigneurs locaux et que les gains des nombreux legs destinés à célébrer des requiem n'étaient pas négligeables. Il les emmena enfin dans le chœur. Le sol était couvert de moelleux tapis d'Orient, comme l'escalier du maître-autel orné, à chaque bout, d'un candélabre de cuivre. Derrière l'autel pendait la pyxide renfermant l'hostie. Une