Le Testament Des Templiers
et précipité contre un arbre.
– Oui, bien sûr. Pas moi, les hommes.
– Vous avez assassiné mon ami. »
Elle ne releva pas.
« Il n’a pas souffert, vous savez. Si vous devez mourir, c’est la meilleure façon. Proprement, sans douleur. Je l’aimais vraiment bien, Luc. Je suis désolée qu’il soit mort. »
Luc chercha dans la poche de son jean. Elle suivit son geste des yeux, s’attendant peut-être à le voir sortir un couteau ou un revolver. C’était un morceau de papier, une photocopie. Il le déplia et l’aplatit sur son genou, puis se leva à moitié pour le lui tendre.
Elle écrasa sa cigarette et l’étudia attentivement, allant d’un personnage à l’autre, enregistrant chaque détail, apparemment perdue dans ses souvenirs.
« Elle vous ressemble beaucoup », dit Luc ostensiblement, pour la ramener à la réalité.
Elle sourit.
« Voyez comme de Gaulle était grand ! Quel homme ! Il m’a embrassée trois fois. Je sens encore ses lèvres. Elles étaient dures. »
Luc se pencha en avant.
« Arrêtons de jouer, d’accord ? Quel âge avez-vous ? »
En guise de réponse, elle se contenta d’allumer une autre cigarette et de regarder les volutes de fumée monter jusqu’aux poutres du plafond.
« Vous savez, en nombre d’années, je ne suis pas si jeune. Mais l’âge dépend de comment on se sent. Je me sens jeune. N’est-ce pas ce qui compte ? »
Il reposa sa question.
« Quel âge avez-vous, Odile ?
– Je vais vous le dire, Luc. Je vais vous dire tout ce que vous voulez savoir. C’est pour ça que vous êtes ici. Pour que vous compreniez. Nous avons fait certaines mauvaises choses, mais nous l’avons fait par nécessité. Je ne suis pas un monstre. Ne l’oubliez pas. Nous avons fait de grandes choses pour la France. Nous sommes des patriotes. Nous méritons qu’on nous laisse tranquilles. »
Elle commença à discourir, tout en fumant à la chaîne et en parlant par à-coups. Au bout d’un moment, elle lui proposa de nouveau à boire, et, cette fois, il accepta en la suivant machinalement jusqu’à la cuisine pour vérifier, entre autres, qu’ils étaient toujours seuls. Elle ne protesta pas. Au-dessus de la table, il y avait un grand rectangle propre, signe que quelque chose était resté longtemps accroché au mur. Elle le surprit en train de regarder l’espace vide, mais elle s’abstint de lui fournir la moindre explication. Elle se contenta de verser deux cognacs, prit la bouteille et ils retournèrent dans le salon. Il reprit place dans la bergère et, toujours sur ses gardes, attendit qu’elle ait bu d’abord pour se mettre à boire lui aussi.
Le temps qu’elle ait fini de parler, il avait terminé son verre et en avait accepté un autre.
Son premier véritable souvenir d’enfance, le plus ancien, c’était d’être descendue dans le café de son père depuis les appartements au-dessus.
L’escalier reliait leur cuisine privée à celle du café. Elle n’avait jamais oublié le sentiment magique que lui procurait le fait de disposer de deux cuisines parce que cela lui donnait l’impression d’être à part. Aucun autre enfant de Ruac n’avait deux cuisines à sa disposition.
Elle était en haut dans sa chambre en train de jouer avec ses poupées quand elle entendit deux coups secs qui l’effrayèrent. Elle voulut en savoir plus. C’était une jolie gamine, une petite beauté brune, et elle passa un bon moment à observer la scène sans rien dire avant qu’on la remarque.
Elle avait souvent vu des animaux morts, des bêtes dépecées, et même des chevaux abattus avec leur boîte crânienne explosée. Elle découvrit donc le spectacle macabre sur le sol du café avec davantage de curiosité que de répulsion.
Elle était surtout attirée par le jeune homme blond, dont le visage avait été épargné par la trajectoire de la balle. Ses yeux d’un bleu encore brillant étaient ouverts et gardaient une ultime trace de vie. C’étaient des yeux amicaux. Il avait un visage bon. Elle aurait aimé jouer avec lui. L’autre homme paraissait âgé et rude, comme les hommes du village, avec, en plus, un visage empreint d’une expression grotesque à cause d’une vilaine blessure, là où la balle était ressortie par l’orbite.
C’est son père qui la vit d’abord.
« Odile ! Fiche-moi le camp d’ici ! »
Elle ne bougea pas, et ne détourna pas les yeux.
Bonnet se précipita vers elle, la souleva de ses
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