Le Testament Des Templiers
le système ferroviaire était totalement congestionné. C’est alors que le gouverneur militaire de Paris déclara d’un ton fatidique :
« Pourquoi ne pas se servir des taxis ? »
L’appel fut répercuté aux taxis parisiens, et, en quelques heures, un convoi se formait sur l’esplanade des Invalides. Odile entendit l’appel. À ce moment-là, son compagnon était justement en pleine cuite, fin saoul. Elle passa aussitôt à l’action ; il pouvait bien aller au diable ! Les Allemands arrivaient et elle savait conduire une voiture – c’était au moins ce qu’elle avait appris avec son misérable soupirant. Le taxi Renault rouge avec ses roues à rayons jaunes, un des spécimens les plus amochés roulant dans les rues de Paris, était prêt. Aussi elle sauta derrière le volant et se joignit au convoi.
Il est possible qu’elle ait été la seule femme conduisant ce jour-là, mais rien n’est moins sûr ; en tout cas, elle se prenait pour une armée à elle toute seule. La colonne de taxis à vide fit route jusqu’à Dammartin, où, au crépuscule, près d’une voie de chemin de fer, ils retrouvèrent les renforts d’infanterie qui s’entassèrent à cinq par véhicule, et s’enfoncèrent dans l’obscurité sans allumer leurs phares.
Les garçons qui tombèrent sur le taxi d’Odile ne cessèrent pas de s’esclaffer et de vanter leur chance jusqu’au front. Elle les embrassa tous pour leur dire au revoir, en laissa un lui toucher les seins et se préparait à retourner en chercher d’autres quand une pluie de projectiles s’abattit, en provenance de l’artillerie allemande.
Des explosions assourdissantes se produisirent, ainsi que des éclairs de lumière. Une bordée de terre mouillée s’écrasa sur son taxi ouvert, recouvrant ses vêtements et ses cheveux d’un mélange collant. Elle baissa les yeux. Une paume sanguinolente avait atterri sur ses genoux, et quand elle la ramassa, elle eut l’impression de tenir la main d’un garçon lors d’un rendez-vous. Elle la jeta par terre, en priant pour qu’elle n’ait pas appartenu à un des jeunes gens qu’elle venait de déposer. Elle reprit la route de Paris pour un deuxième voyage.
Cette nuit-là, les taxis de la Marne amenèrent quatre mille hommes en renfort qui inversèrent le cours des choses. Ils sauvèrent Paris, et, par la même occasion, la France.
Odile voulait que Luc le sache.
Après cet épisode, Odile resta au front pendant des semaines, à aider les infirmières, faire tout ce qu’elle pouvait pour les blessés. Elle y demeura jusqu’à ce qu’une sorte de fièvre faillît la tuer. Épuisée et perturbée par les malheurs de la guerre, elle retourna aussitôt à Ruac et laissa sa mère la border dans son ancien lit ; là, sous les douces couvertures, elle s’autorisa à pleurer pour la première fois depuis des années.
Son père vint lui parler dès qu’il fut certain qu’elle n’allait pas s’effondrer. Il n’appréciait pas beaucoup le côté émotionnel des femmes. Il avait seulement deux questions à lui poser : « Es-tu prête à te joindre à nous maintenant ? Es-tu prête à recevoir l’initiation ? »
Elle avait suffisamment goûté du monde extérieur pour le restant de ses jours. Ruac était très éloigné de la folie des tranchées.
« Je suis prête », répondit-elle.
La guerre ne tarda pourtant pas à revenir.
Cette fois, les Allemands réussirent mieux leur invasion, et comme ils occupèrent la France tout entière, les villageois de Ruac ne purent pas les éviter. Bonnet en était le maire à présent. Son père, le précédent maire, était mort au début de la Seconde Guerre mondiale.
Le nouveau maire rédigea le certificat de décès de son père avec le gros stylo du vieil homme, en falsifiant la date de naissance, comme le précédent maire l’avait fait pendant des générations. Et son père fut dûment enterré dans le cimetière du village, qui comptait étonnamment peu de tombes malgré son ancienneté.
Qui plus est, selon leur coutume, les pierres tombales comportaient seulement le nom du défunt, sans aucune date de naissance ni de mort. Comme le cimetière était à l’écart, au bout d’un chemin passant par une ferme privée, personne n’avait l’occasion de s’en étonner.
Le village de Ruac forma son propre groupe de maquisards au sein de la Résistance, mais il jouissait d’une certaine autonomie. L’état-major de de Gaulle à Alger
Weitere Kostenlose Bücher