Le Testament Des Templiers
lèvres.
« C’est tout ? demanda Luc.
– Non, chuchota Hugo, ça continue.
– Alors vas-y, pour l’amour de Dieu. »
Alon conduisait sa voiture de location comme il faisait tout dans la vie : avec pugnacité. Il accélérait brusquement, freinait brusquement, et il parcourut la courte distance le séparant du camp en multipliant les embardées. Une aire de parking avait été installée près du sommet de la falaise. En y arrivant, il freina net, projetant du gravier tout autour. Des nuages brouillaient les contours du croissant de lune, et le ciel nocturne charriait des vrilles noires, comme les veines sur le dos d’une main. L’abri pour le gardien qui avait été installé avant la pose de la grille avait disparu depuis longtemps. Les images produites par le circuit de télévision intérieur et les informations télémétriques provenant de l’entrée de la grotte et des salles étaient maintenant transmises directement au bureau du camp.
Il verrouilla la voiture et remonta jusqu’en haut la fermeture à glissière de son blouson. Des bouffées d’air frais s’élevaient de la vallée. Il chercha la clé de la grille dans sa poche. Elle était grande et lourde. Un bel objet, presque médiéval. Pour respecter l’authenticité du lieu, il aurait préféré le visiter à la lueur vacillante d’une lampe à huile, mais la petite torche électrique qu’il tenait à la main devrait faire l’affaire. Il la braqua sur le chemin et se dirigea vers l’échelle contre la falaise.
Il se réjouissait de passer une demi-heure tout seul, à se promener dans la grotte avec un éclairage minimal.
Demain, il s’arrangerait pour demander pardon à Luc, en prétextant un coup de folie, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Luc le désapprouverait officiellement, mais il était certain que l’incident serait vite oublié. La grotte l’appelait. Il fallait qu’il ait une conversation privée avec elle. Il écrirait pour raconter sa nuit. Cela donnerait forme à sa pensée, contribuerait peut-être même à ébranler quelques-unes de ses vieilles certitudes.
« Au diable les chamans, chuchota-t-il malgré lui. Aurais-je pu me tromper ? »
Il ralentit l’allure en s’approchant de l’échelle. La descente était longue, et, à son âge, il n’avait plus rien d’un chamois.
Il crut percevoir un bruit de pas. Quelqu’un courait.
Il sursauta et voulut se retourner, sans y parvenir complètement.
Il ne vit pas la bûche qui lui cogna la tête, pas plus qu’il ne sentit qu’on le traînait jusqu’au bord, et, au dernier moment, lors de son passage dans l’autre monde, il n’entendit pas non plus un couple de milans aux ailes noires prendre leur envol, effrayés par le bruit de son corps dévalant la pente à travers les chênes.
12
A BBAYE DE C LAIRVAUX,
F RANCE, 1118
P ar un matin d’hiver cristallin, les grands bois entourant le nouveau monastère étaient silencieux. Les champs étaient tranquilles, l’horizon paisible.
À l’intérieur d’une pièce glaciale uniquement meublée d’un matelas de paille, d’un pot de chambre et d’une cuvette couverte de givre, le jeune abbé avait rejeté sa couverture rêche car il avait le corps brûlant malgré le froid. Sa peau était luisante, comme s’il s’était récemment trempé dans l’eau. La toux sèche qui l’avait tenu éveillé toute la nuit s’était calmée pour l’instant, mais il savait qu’elle ne tarderait pas à revenir secouer son corps et pilonner sa tête. Il essaya de respirer par le nez pour éviter un nouveau spasme.
Quand, durant sa jeunesse privilégiée, Bernard tombait malade, il se trouvait toujours une femme bienveillante – une tante ou une cousine – pour veiller sur lui. Mais il avait banni les femmes de la congrégation, en conséquence de quoi il devait maintenant compter sur la mansuétude infiniment moins grande des hommes. Ses lamentations fiévreuses s’adressaient à sa mère bien-aimée, morte depuis longtemps. Il se souvenait encore vaguement d’un épisode de sa tendre enfance, lorsqu’il était couché avec un mal de gorge, et qu’elle l’apaisait avec une chanson, une boisson au miel et son beau visage. C’était un homme maintenant, âgé de vingt-huit ans et prieur de l’abbaye de Clairvaux. Pour lui, il n’y avait plus ni mère ni caresses. Il devait supporter sa maladie stoïquement et s’en remettre à la bienveillance du Christ pour sa délivrance.
Si sa mère
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