Le Testament Des Templiers
avait survécu, elle aurait été fière de voir comment son pieux rêve s’était réalisé. À leur naissance, elle avait offert chacun de ses enfants – six fils et une fille – à Dieu, et s’était entièrement consacrée à les élever en bons chrétiens.
Quand Bernard eut terminé son éducation, sa mère n’était plus de ce monde. Ses tuteurs avaient reconnu chez lui un don particulier : c’était un jeune homme qui, en plus de sa noble extraction et de son intelligence naturelle, avait un tempérament doux, un esprit affûté et un charme immense comme peu d’hommes en sont dotés. Malgré une attirance passagère pour les tentations séculières offertes par la littérature et la poésie, il n’y eut jamais aucun doute que Bernard deviendrait un serviteur de Dieu.
Un chemin de moindre résistance l’aurait certainement conduit à l’abbaye bénédictine de Fontaines toute proche, mais il écarta cette idée avec véhémence. Il s’était déjà rallié philosophiquement aux hommes nouveaux de l’Église – Robert de Molesme, Albéric de Cîteaux, les cisterciens qui trouvaient que la stricte observance de la règle de saint Benoît de Nursie n’était plus respectée par les abbayes et leur clergé corrompus. Ces cisterciens étaient déterminés à faire disparaître les excès de la chair et de l’esprit qui avaient contaminé les bénédictins. Ils renonceraient aux fines chemises de lin, aux pantalons, aux fourrures, aux draps et aux couvre-lits. Leurs abbayes et leurs cloîtres ne seraient jamais décorés de gargouilles et de chimères. Ils mangeraient leur pain sec, sans saindoux ni miel. Ils ne se feraient pas payer pour les enterrements, ne réclameraient aucune dîme. Ils installeraient leurs communautés loin des villes ou des villages, et banniraient les femmes pour éviter toute distraction séculière. Et ils n’interrompraient leurs prières et leurs méditations que pour se livrer au dur labeur physique nécessaire à leur survie.
Pénétré de cet idéal, le jeune Bernard priait un jour dans une petite église isolée, demandant à Dieu de le guider, et quand il se releva, il avait sa réponse. Convaincu par l’évidence de sa décision, il persuada ses frères Barthomieu et André, son oncle Gaudry, et bientôt encore trente et un nobles bourguignons, de l’accompagner à Cîteaux, d’abandonner le royaume de France pour le Saint Empire romain, et de délaisser leur ancienne vie pour une nouvelle. Deux autres de ses frères, Gérard et Guy, servaient comme soldats au loin, mais ils le rejoindraient ultérieurement. Seul le plus jeune, Nivard, resta sur place.
« Adieu, Nivard, cria Bernard à son frère préféré le jour de leur départ. Tu auras toutes les terres et les domaines pour toi tout seul. »
Le garçon était en larmes.
« Tu emmènes le ciel en ne me laissant que la terre ! s’écria-t-il. Le partage est inéquitable ! »
Ces paroles touchèrent profondément Bernard, et il garderait le cœur lourd tant que Nivard et lui ne seraient pas réunis.
En l’an 1112, l’abbaye de Cîteaux était encore tout en bois. Elle avait été fondée quinze ans plus tôt, mais l’abbé, Stephen Harding, un Anglais au cœur de pierre, n’avait pas reçu de novices depuis un bon moment. Il fut ravi par cet afflux d’humanité, et il accueillit Bernard et ses compagnons à bras ouverts.
Au cours de cette première nuit froide passée dans le dortoir laïque, Bernard ne dormit pas ; la pièce bondée résonnait des ronflements d’hommes épuisés. Pendant les jours et les semaines qui suivirent, plus le labeur était pénible, plus grand était son plaisir. Plus tard, il dirait à tous les novices, avant qu’ils ne rentrent : « Si vous souhaitez vivre dans cette maison, laissez votre corps derrière vous ; seuls les esprits peuvent entrer ici. »
Ses capacités étaient à tel point exceptionnelles et son labeur si intense que, en deux ans, Stephen avait décidé que Bernard était largement prêt à créer une abbaye sœur. Il le nomma abbé et l’envoya avec ses frères André et Gérard, ainsi que douze autres hommes, à une maison du diocèse de Langres en Champagne.
Dans une clairière bien plane, ils construisirent une demeure toute simple et entamèrent une vie de grande rudesse, même compte tenu de leurs exigences. La terre était pauvre, ils fabriquaient leur pain avec l’orge le plus grossier, et, la première année, ils durent se
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