Le Testament Des Templiers
pour Abélard en tout cas. Il soutenait que le Christ était mort pour conquérir le cœur des hommes en leur donnant l’exemple du pardon et de l’amour.
De l’amour ! C’en était trop.
Bernard décida que le moment était venu d’anéantir Abélard une fois pour toutes. C’en était fini des avertissements personnels, et Bernard porta l’affaire devant les évêques de France. Abélard fut convoqué par le concile de Sens en 1140 pour plaider sa cause. Il pensait qu’il aurait la possibilité d’affronter ouvertement son accusateur, de débattre avec son vieil ami et de discuter avec lui comme ils l’avaient fait pendant leur convalescence à Ruac.
Quand Abélard arriva à Sens, il apprit, horrifié, que, la veille au soir, Bernard avait participé à une réunion restreinte avec les évêques et qu’une condamnation avait déjà été prononcée. Il n’y aurait aucun débat public, rien de la sorte, mais le concile accepta qu’Abélard puisse en appeler directement à Rome.
Il n’était jamais allé jusque-là.
Bernard veilla à ce que le pape Innocent II confirme la sentence du concile de Sens avant qu’Abélard puisse quitter la France, non que cela ait eu la moindre importance car, quelques mois plus tôt, un des étudiants d’Abélard lui avait toussé en plein visage et l’avait contaminé. Il était désormais atteint de consomption.
Quelques semaines à peine après Sens, il tomba malade. Il eut d’abord de la fièvre et des suées nocturnes. Puis une toux récurrente qui atteignit bientôt son paroxysme. Au début, le flux vert provenant de ses poumons se teinta de rose, puis présenta des traînées rouges suivies de jaillissements de cramoisi. Son appétit diminua comme un puits tari. Son poids déclina.
Il perdit même toute envie pour son thé rouge.
Un ancien collègue et bienfaiteur, le vénérable Pierre, abbé de Cluny, intervint quand Abélard franchit ses portes, alors qu’il persévérait dans sa volonté de gagner Rome afin qu’on lui accordât une audience avec le Saint-Père.
Pierre lui interdit de poursuivre son voyage, et le confina au lit. Il obtint de Rome un allégement de la sentence et parvint même à persuader Bernard de se désister en lui adressant un message, disant qu’Abélard était mourant et que toute autre persécution du moine en ce bas monde aurait été sans fondement et cruelle. Bernard avait poussé un profond soupir et accepté.
Passé la nouvelle année, et le printemps bien entamé, Abélard s’affaiblit encore. Pierre jugea qu’une communauté de nonnes alliée à Cluny, le prieuré de Saint-Marcel, serait un endroit plus tranquille, et que des mains plus douces atténueraient ses dernières souffrances. Et c’est là qu’Abélard fut envoyé pour mourir.
Un cortège de religieuses à cheval serpentait dans la clairière. C’était un après-midi venteux d’avril. Les hommes dans le campement s’interrompirent dans leur cuisine et se levèrent. On entendit murmurer. Un coup de vent rejeta en arrière le capuchon d’une femme qui chevauchait bien droite sur la selle, et emporta son voile. Ses longs cheveux gris étaient rassemblés en une natte.
Un moine courut pour aller chercher le voile et l’aida à descendre de cheval.
« Bienvenue, abbesse, dit-il, comme s’ils s’étaient vus la veille.
– Nous connaissons-nous, frère ? demanda-t-elle.
– Je suis un ami de votre ami, dit-il. Je suis Barthomieu, de l’abbaye de Ruac.
– Ah, c’était il y a des années. »
Elle le regarda avec curiosité, mais ne dit rien de plus.
« Voulez-vous que je vous conduise à lui ? » demanda Barthomieu.
Elle poussa un soupir de soulagement.
« Alors je ne viens pas trop tard. »
Une courtepointe était tirée sous le menton d’Abélard. Il dormait. Bien que la consomption ait fait fondre la chair de son visage, Héloïse chuchota qu’elle le trouvait mieux que ce à quoi elle s’attendait, puis s’agenouilla à son chevet et joignit ses mains pour prier.
Abélard ouvrit les yeux.
« Héloïse, dit-il dans un souffle.
– Oui, mon aimé.
– Vous êtes venue.
– Oui. Pour être avec vous.
– Jusqu’à la fin ?
– Notre amour ne finira jamais », chuchota-t-elle à son oreille.
Barthomieu l’entendit malgré tout, et il s’excusa pour qu’ils puissent rester seuls tous les deux.
Barthomieu veilla toute la soirée et toute la nuit à l’extérieur de la hutte, pareil à une
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