Le Testament Des Templiers
douce Héloïse, restait l’amour de sa vie, le signal lumineux sur une colline lointaine qui le rappelait à la maison. Mais elle avait pris le voile, et il avait revêtu la robe de bure, et le Christ était l’unique objet de leur dévotion. Il ne leur restait plus qu’à échanger des lettres pour se manifester l’un à l’autre leur passion brûlante.
Ni lui ni Bernard de Clairvaux n’auraient pu imaginer que la récente inimitié de Bernard envers Abélard aurait constitué le pont qui réunirait les amants maudits par le sort.
Quand Bernard quitta Ruac et revint à Clairvaux guéri dans son corps, mais perturbé dans son esprit, il regretta amèrement la décision que son frère Barthomieu avait prise de ne pas renoncer au breuvage du diable. Après réflexion, il n’incrimina personne d’autre qu’Abélard pour la suite des événements, car personne d’entre tous les acteurs de cette affaire, personne n’avait l’esprit plus large et persuasif que cet eunuque. Son pauvre frère était un simple pion. Le véritable malfaisant était Abélard.
Pour cette raison, il mit en œuvre toutes ses relations ecclésiastiques sans cesse plus nombreuses afin de surveiller ce moine renégat. Aussi, quand parvint entre ses mains le Traité sur l’unité et la Trinité divine écrit par Abélard, il en releva ce qu’il considérait comme des hérésies pour le faire comparaître devant un concile papal à Soissons en 1121 afin qu’il en réponde personnellement.
Bernard fulminait, lui reprochant de se faire l’apôtre du trithéisme, théorie selon laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit étaient distincts, chacun ayant sa propre existence. Le Dieu unique n’était-il qu’une abstraction pour lui ? Le breuvage du diable lui avait-il fait perdre la tête ?
Non sans satisfaction, Bernard apprit qu’Abélard avait été contraint par le pape de brûler son propre livre et de se retirer à Saint-Denis en disgrâce. Mais des germes amers avaient été semés. Les moines de l’abbaye jugèrent que c’était le moment de se débarrasser d’Abélard et de son hérésie, et il fit retraite dans un endroit désert aux alentours de Troyes, dans un hameau portant le nom de Ferreux-Quincey. Là, avec un petit groupe de disciples, il fonda un nouveau monastère qu’ils appelèrent l’oratoire du Paraclet. Paraclet, le nom donné au Saint-Esprit. Une pierre dans le jardin de ses détracteurs.
L’endroit convenait à Abélard. Il était isolé, avec une source généreuse à proximité, une terre fertile et du bois en abondance pour construire une église. Et, à sa grande satisfaction, il y avait également dans les environs quantité d’herbes au pouvoir surnaturel, de l’orge et des groseilles à maquereau.
Quand les bases de l’oratoire eurent été jetées, qu’il y eut une chapelle et de quoi se loger, il fit quelque chose qu’il n’aurait pas pu faire s’il n’avait pas été l’abbé de ce nouvel endroit : il fit venir Héloïse.
Elle arriva d’Argenteuil dans un chariot tiré par un cheval, accompagnée par un petit groupe de nonnes. Bien qu’elle portât le voile comme une simple sœur, elle se révéla aussi fascinante que dans son souvenir.
Cernés par leurs compagnons, ils ne purent pas s’embrasser. Ils se touchèrent les mains et ce fut tout. Et cela fut suffisant.
Il remarqua que son crucifix était plus grand que celui de ses compagnes.
« Vous êtes mère prieure, maintenant, observa-t-il.
– Et vous êtes abbé, monsieur, rétorqua-t-elle.
– Nous occupons maintenant de hautes fonctions, plaisanta-t-il.
– Afin de mieux servir le Christ », dit-elle en baissant les yeux.
Il vint la retrouver la nuit dans la petite maison qu’il avait construite. Elle protesta. Ils discutèrent. Il avait le regard fou, l’élocution trop rapide, convaincante, mais sans les pauses habituelles d’un discours normal. Il avait bu son thé d’initiation un peu plus tôt dans la soirée, mais il ne lui dirait pas. Il était pressé. Son humeur ne tarderait pas à retomber et il ne voulait pas qu’elle en soit témoin.
L’esprit et la conversation d’Héloïse étaient aussi vifs que jamais. Sa peau aussi blanche que le plus beau marbre du salon de son oncle Fulbert. Sa robe chaste et rugueuse en montrait trop peu. Il la poussa sur son lit et s’abattit sur elle, lui embrassant le cou, les joues. Elle le repoussa et le gronda, avant de s’abandonner et de
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