Le Testament Des Templiers
sentinelle. Héloïse demeura près d’Abélard jusqu’aux premières lueurs du matin, disparut un court moment, puis revint, plus fraîche et résolue que jamais à continuer à veiller. Quand Barthomieu demanda si elle avait besoin de l’infirmier, elle rejeta son offre et dit qu’elle était parfaitement capable de prendre soin d’Abélard.
Plus tard dans la journée, un brouhaha se produisit quand un groupe d’hommes, des soldats du roi, surgirent au grand galop dans le prieuré. Barthomieu alla à leur rencontre, parla à leur capitaine, et blêmit.
« Quand ? demanda-t-il.
– Il n’est pas loin derrière nous. À une heure peut-être. Et vous êtes ?
– Son frère, grommela Barthomieu, je suis le frère de Bernard de Clairvaux. »
Un soldat ouvrit la portière, et Bernard descendit de sa belle voiture couverte, l’air pâle et les traits tirés. Il avait cinquante-deux ans, mais en paraissait beaucoup plus. La pression de sa charge et les années passées à vivre dans des conditions spartiates lui avaient valu une peau flétrie et un teint cireux, ainsi que de l’arthrose et une raideur des membres. Il nota aussitôt la situation lamentable qui régnait dans le camp, cette enclave de pèlerins, et le nombre d’ecclésiastiques et d’étudiants, d’hommes et de femmes qui y étaient rassemblés.
Serai-je l’objet d’autant d’adoration à l’heure de ma mort ? pensa-t-il. Puis il demanda d’un ton impérieux.
« Qui va m’emmener voir Abélard ? »
Barthomieu s’approcha. Les deux hommes s’observèrent un bref instant, mais Bernard commença par secouer la tête et par regarder ailleurs avant de se focaliser de nouveau sur son interlocuteur.
« Bonjour, Bernard. »
Ce ton familier eut le don de l’irriter. N’était-il pas l’abbé de Cîteaux ? Les légats du pape sollicitaient ses conseils. Il avait siégé aux côtés de papes, et le Saint-Père actuel accordait plus d’importance à son avis qu’à tout autre. Il était le bienfaiteur des chevaliers du Temple. Les croisés invoquaient son nom avec respect. Il avait amendé de grands schismes au sein de l’Église. Qui était ce moine pour oser l’appeler Bernard ?
Il le regarda une nouvelle fois dans les yeux. Qui pouvait bien être cet homme ?
« Oui, c’est bien moi, dit Barthomieu.
– Barthomieu ? Ce ne peut pas être toi. Tu es jeune.
– Il y a quelqu’un de plus jeune encore. »
Il appela un homme, qui se trouvait près du feu de camp.
« Nivard, viens ici. »
Nivard arriva en courant. Bernard ne l’avait pas vu depuis une éternité, mais son jeune frère Nivard devait avoir la quarantaine passée maintenant. Ce ne pouvait pas être le solide gaillard qui se dressait devant lui.
Les trois hommes s’embrassèrent, mais l’étreinte de Bernard fut maladroite et lasse.
« Ne t’en fais pas. Tu vas tout comprendre, frère, dit Barthomieu. Mais dépêche-toi, viens voir Abélard pendant qu’il respire encore. »
Quand Bernard et Barthomieu pénétrèrent dans le logis du malade, Héloïse se retourna pour faire taire les intrus, avant de s’apercevoir que c’était le grand homme d’Église qui était entré.
Elle se leva et manifesta l’intention de baiser l’anneau de Bernard, mais il la repoussa et lui enjoignit de rester au chevet d’Abélard.
« Votre Excellence, je suis…
– Vous êtes Héloïse. Vous êtes l’abbesse du Paraclet. J’ai entendu parler de vous. Je connais votre intelligence et votre piété. Comment va-t-il ?
– Il s’éteint doucement. Venez. Vous avez encore le temps. »
Elle toucha l’épaule décharnée d’Abélard.
« Réveillez-vous, mon cher ami. Quelqu’un est venu pour vous voir. Votre vieil… »
Elle leva un regard interrogateur vers Bernard.
« Oui, appelez-moi son vieil ami.
– Votre vieil ami, Bernard de Clairvaux, est venu pour être avec vous. »
Une faible toux ressemblant à un râle signala qu’il était réveillé. Bernard paraissait bouleversé, non pas de lui voir ainsi la peau sur les os, mais de lui trouver l’air tellement jeune.
« Abélard aussi ! » souffla-t-il.
Barthomieu se tenait dans le coin, les bras croisés sur la poitrine. Il acquiesça.
Abélard parvint à sourire. Afin de pouvoir parler sans déclencher de quinte de toux, il avait appris à chuchoter, en se servant de sa gorge plus que de son diaphragme.
« Es-tu venu pour m’accabler et m’achever ?
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