Le tombeau d'Alexandre
par an, pendant un mois, elle rejoignait son père sur un de ses chantiers de fouilles d’Afrique ou du Moyen-Orient. Et elle adorait chaque minute qu’elle passait avec lui.
A l’âge de dix-sept ans, elle aurait dû le rejoindre pour une saison de fouilles à l’ouest de Mallawi, en Moyenne Égypte. Pendant onze mois, elle avait étudié le copte, les hiéroglyphes et l’hiératique dans une tentative désespérée de lui prouver ses compétences, afin qu’il l’engage comme assistante à plein temps. Mais trois jours avant la date de son départ, elle l’avait entendu débarquer à l’improviste dans l’appartement. Sa mère, en proie à une crise de colère, avait refusé qu’il la voie. Gaëlle s’était donc agenouillée de l’autre côté de la porte du salon pour écouter leur conversation. La télévision hurlait à plein volume, à grands renforts de rires préenregistrés, alors elle n’avait pas tout entendu, mais assez pour comprendre. Son père devait repousser la fouille de Malawi en raison d’un problème personnel important. Elle n’aurait pas lieu avant que Gaëlle ne retourne au lycée.
Cette saison avait été celle du triomphe de son père. Huit semaines plus tard, celui-ci avait trouvé des archives ptolémaïques si remarquables que Yusuf Abbas, le secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités, s’était investi personnellement dans le projet. Gaëlle aurait dû être là, à ses côtés, mais il avait préféré recruter un jeune égyptologue brillant de Cambridge, un certain Daniel Knox. C’était donc ça, son problème personnel important ! Une histoire de cul ! Cette trahison lui avait fait tant de mal qu’elle n’avait plus voulu le voir. Il avait souvent essayé de la contacter, pour s’excuser, mais elle n’avait jamais rien voulu entendre. Et bien qu’elle se soit consacrée corps et âme à l’égyptologie, elle n’était jamais allée en Égypte, jusqu’à ce que la proposition d’Elena la prenne au dépourvu, longtemps après la mort de son père.
Elle n’avait jamais rencontré ni cherché à rencontrer Knox. Mais il lui avait envoyé une lettre de condoléances comportant un récit émouvant des dernières années de son père. Il avait prétendu que celui-ci parlait constamment d’elle, que personne n’aurait rien pu faire pour le sauver lorsqu’il était tombé de cette falaise, que ses dernières pensées avaient été pour elle, et que sa dernière volonté avait été qu’il la contacte personnellement pour le lui dire. Elle avait trouvé cela à la fois pénible et, paradoxalement, très réconfortant. Puis elle avait reçu un colis de l’oasis de Siwa. Il contenait toutes les affaires de son père, ses papiers, ainsi que le rapport de police concernant l’accident et la transcription du témoignage des deux guides qui se trouvaient sur les lieux du drame. Les deux témoins avaient certifié que Knox aurait pu sauver le père de Gaëlle s’il l’avait voulu, mais qu’il était resté sans rien faire. Ils avaient également déclaré que l’accidenté était déjà mort lorsque Knox et eux étaient arrivés auprès de lui et que ses blessures étaient telles qu’il avait dû mourir sur le coup. Il était donc impossible qu’il ait confié ses dernières volontés à qui que ce soit. Knox avait menti sur toute la ligne.
Avant de recevoir ce rapport, Gaëlle l’avait haï par principe. Ensuite, elle lui en avait voulu personnellement.
III
Dans l’armée, Nessim avait appris à connaître la physiologie de la peur. Quand on sait ce qui se passe dans son corps, il est plus facile de le contrôler. Le cœur bat plus vite ; on a le souffle chaud. Le goût de métal qu’on a dans la bouche provient seulement des glandes, qui inondent le système sanguin d’adrénaline pour préparer le corps à la lutte ou à la fuite. Ces fourmillements dans les doigts et les orteils, ce relâchement de la vessie et des intestins, ce n’est que le sang qui circule plus vite là où on en a le plus besoin.
Devant la fenêtre de son hôtel, Nessim composa le numéro d’Hassan en regardant le fleuve sinueux, dix étages plus bas.
— Vous l’avez trouvé ? demanda Hassan dès qu’on lui transmit la communication.
— Pas encore, monsieur, avoua Nessim. Mais nous avons progressé.
— Progressé ? C’est déjà ce que vous m’avez dit hier.
— J’ai constitué une équipe performante, monsieur.
— Une
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