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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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Saint-Brice.
    Georgette Cher et Geneviève Barthélémy étaient « en visite » – robe à fleurs et souliers vernis – ce dimanche, comme presque tous les dimanches. Georgette, dix-neuf ans, avait été invitée à déjeuner par M me  Antoine, sa future belle-mère ; trois maisons plus loin, Geneviève par sa meilleure amie. Toutes deux, une cruche à la main, se sont précipitées vers les wagons à bestiaux. Georgette a été refoulée par les sentinelles une première fois, deux fois, trois fois. Geneviève a pu franchir tous les barrages et tendre sa cruche à deux lucarnes :
    — Où sommes-nous ?
    — Où sont les Américains ?
    Geneviève et son amie ont ensuite cueilli dans le jardin des carottes et des tomates – les premières tomates.
    — Que vous êtes gentilles, a dit le déporté en prenant les légumes.
     
    Wagon Lutz
    Quelle heure cxiv est-il quand soudain un des cent occupants de ce wagon tombe ? Je ne sais plus.
    J’entends un concert de cris, des bras qui s’agitent. Cela se passe dans l’autre bout du wagon et dans le coin opposé à celui où je suis. Crise d’épilepsie ? À tout hasard je crie :
    — Ne lui tenez pas les bras, il pourrait se casser quelque chose, laissez-le se débattre, écartez-vous…
    J’ai soigné un épileptique, je sais cela et rien d’autre.
    Mais comme si on avait traversé cette masse d’hommes d’un courant électrique, se propage un bruit :
    — Un médecin, il y a un médecin… Taisez-vous, laissez faire le médecin.
    Je proteste mais j’ai soudain une certaine exaltation et je pense : « Si cela pouvait calmer tout ce monde…» Alors je dis :
    — Non pas médecin, étudiant en médecine…
    Il n’en faut pas plus à ces pauvres hommes !
    On s’écarte, je vais jusqu’au malheureux encore convulsé et dans le silence – chacun ayant reculé aux limites possibles – je peux me baisser, ouvrir la ceinture, commander un peu d’eau fade que l’on me transmet sans objection – alors qu’un instant avant ces hommes se seraient battus pour une ration supplémentaire.
    J’éprouve une véritable panique. Et maintenant ?
    La crise comitiale s’achève. C’est l’instant de faire quelque chose ou c’est fichu.
    Je me redresse et j’ordonne :
    — « Plaçons ce garçon près de l’ouverture, agrandissons celle-ci. » (Elle est située sur le côté du wagon et une planche a déjà pu être enlevée.)
    Et… et…
    On exécute. On m’écoute.
    Après nous avons tous ensemble, dans le calme, pris des dispositions de survie, en acceptant l’indispensable discipline. La moitié des occupants, à tour de rôle, debout puis assis ; un tour d’accès aux ouvertures ; le silence ; la distribution d’eau, etc.
    Et – merveilleuse duperie – j’ai dans mes poches des bouts de sucre reçus à Compiègne dans un colis et conservés comme un trésor. Je les écrase avec de l’aspirine qu’un compagnon me donne, et je distribue des pincées de ce « médicament ».
    Jamais sans doute médecine ne fut plus miraculeuse !
    *
    * *
    André Page réclame soudain le silence :
    — Il y a une sentinelle devant la lucarne, je vais essayer de lui parler. Aidez-moi !
    Lamirault et Lecène soulèvent Page :
    — Nous avons un malade… son état est très alarmant.
    L’Allemand répond par une question  :
    — Combien de morts ?
    — Combien de morts ? Mais nous n’avons pas de morts…
    — Alors taisez-vous !
    Pierre Pelet dit :
    — S’il demande « combien de morts ? » c’est que dans les autres wagons la situation est plus grave que chez nous.
    Les trois responsables du wagon : Lutz, Lamirault, Tesson se rejoignent près de la porte.
    — André Tesson cxv , véritable force de la nature, pesait près de cent vingt kilos. Chauve, il était toujours coiffé d’un feutre ; il me semble le revoir avec ses yeux légèrement en amande, les pommettes très prononcées, le nez rond. Il interdit à quiconque de faire ses besoins dans la tinette. Tous les chapeaux étaient réquisitionnés et si quelqu’un ne pouvait plus tenir, il réclamait un chapeau. Tesson offrit le sien à la première urgence. Deux bouteilles de Vichy furent réservées aux « petits besoins ». Monté un des derniers dans le wagon et de ce fait resté près de la porte, j’avais pour mission de vider, par un interstice, les bouteilles. Durant trois jours j’ai vidé mes bouteilles, assis au ras de cette porte, le nez

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