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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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en face d’un trou de boulon, ce qui me donnait de l’air. André Tesson veillait, calmait les esprits et je me souviens que, parlant comme à de grands enfants, il disait : « Si vous êtes sages, je vous raconterai l’histoire du petit cuisinier chinois. » Cela calmait les esprits pour un temps. On attendait la fameuse histoire du cuisinier chinois. Il ne l’a jamais racontée.
    — Brusquement cxvi une violente altercation éclate. Ce sont mes amis de l’équipe Lamirault qui essaient de percer le wagon. Ils sont violemment pris à partie. Ceux qui ne veulent ou ne peuvent fuir ont peur d’être fusillés. Ils se souviennent de l’avertissement donné au départ. Un certain commissaire de police est des plus hostiles au projet. Il est pris à partie par des prisonniers qui l’ont reconnu. Il aurait tué un Résistant au cours d’une arrestation. Il s’en défend, il prétend qu’il s’agissait d’un voleur, qu’il était en état de légitime défense et qu’il ne s’agissait pas d’un Résistant.
    — J’entends cxvii un garçon de vingt ans implorer sa délivrance. Il appelle sa mère : « Maman, maman » ou bien : « Laissez-moi partir, je vous assure que je n’ai rien fait, je suis innocent…» Une espèce de folie bénigne d’abord, furieuse ensuite, s’empare d’une dizaine d’autres malheureux. On se bouscule, on échange des propos violents. On se bat. Un de mes voisins, les yeux exorbités, se précipite sur moi un couteau à cran d’arrêt à la main ; je n’ai que le temps de parer le coup. Moi-même je deviens fou, je le prends à la gorge et je serre, je serre…
    Une nouvelle fois, de son observatoire, André Page réclame et obtient le silence :
    — Il y a des paysans qui ont de l’eau… S’il vous plaît ? Par ici. Au secours ? À boire !
    — Merci. Merci.
    Il passe deux bouteilles à Lamirault.
    — Où sommes-nous ?
    — Où sont les Américains ?
    Dans un coin, Pierre Pelet pense : « Il va falloir que je décroche ma musette. Elle coule. C’est le beurre fondu qui entraîne le sucre en poudre. » Il passe une main dans ses cheveux… « C’est bien ça. » Il reste assis. Goutte à goutte la musette se vide sur son crâne.
    Le petit-fils du peintre Millet, secoué de hoquets, répète toutes les dix secondes :
    — C’est drôlement au poil ici !
    — C’est drôlement au poil !
    Pierre Lecène et Pierre Encrevé s’évanouissent.
    11 h 30 – 14 heures  – Saint-Brice.
    — Qui sont ces gens ?
    — Des Juifs.
    — Non ! des prisonniers anglais.
    M me  Morizet qui attend au passage à niveau de Saint-Charles, que le train démarre, pour pouvoir traverser, ajoute :
    — Pour savoir : le plus simple c’est de le leur demander.
    Elle pousse le portillon.
    — Vous êtes des prisonniers ?
    — Moi je n’ai rien fait et ils m’ont emmené. Ils nous ont mis par cent mais nous on les mettra par deux cents… Il y a des otages, des Résistants. On a soif… de l’eau !
    À la lucarne suivante, des cris, des plaintes :
    — C’est un de mes camarades qui vient de s’ouvrir les veines.
    À cet instant, un gardien lance une pierre sur M me  Morizet, hurle et ramasse une bouteille… M me  Morizet court en direction de la locomotive. L’Allemand retourne à sa vigie.
    — Il m’a semblé cxviii qu’il était ivre. Je me retrouve à côté d’autres wagons. Des gens de Saint-Brice donnent de l’eau et du pain aux prisonniers. Les gardiens ouvrent le pain pour voir si rien n’est caché à l’intérieur. Un peu plus loin, vers l’arrière du train, j’entends des cris et un crépitement de mitraillette.
    « Le voyage cxix sera ce que nous voudrions qu’il soit », mais nous n’avons pas voulu cela, nous ; nous n’avons pas mérité cela. Ce ne sont plus des cris ; ce sont des hurlements de bêtes qui se meurent et qui ne veulent pas quitter cette terre maudite. « À moi. » « À boire. » « Bande de vaches. » « Je te tuerai toi. » « Han ! voilà pour tes yeux. » « Et crève, ta gueule était trop moche. » Oui, les vaches ! Ils riaient sur les quais, nos gardiens ; ils portaient tous l’Edelweiss à leur casquette ; ils n’auraient pas dû ces salauds nous laisser crever comme cela. À chaque arrêt, se promenant de long en large le long de nos wagons, ils nous entendaient : « Nous avons déjà dix morts, vingt morts, trente morts. » « Das macht nitchts » telle

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