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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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qui secoue Rohmer, le gifle :
    — Tenez, j’ai un morceau de sucre !
    Camille Rozan a gardé son gros pull à col roulé. Il a suivi les conseils du professeur Vlès :
    — Il faut à tout prix éviter l’évaporation ; ne vous déshabillez surtout pas. Que ceux qui ne peuvent supporter un tricot gardent tout de même leur chemise. Dans le Sahara, les Touareg sont chaudement habillés…
    Le professeur Vlès est mort, en manteau et écharpe, son étrange petit chapeau fripé enfoncé sur les oreilles.
    — J’avais clix dix-huit ans et c’est peut-être à un énorme furoncle très mal placé, sous l’aisselle, que je dois la vie. Chaque fois que j’allais sombrer dans l’inconscience, une douleur très vive me rappelait à l’ordre. Sans ces chocs, j’aurais fait comme beaucoup : je ne me serais pas réveillé. Je me trouvais dans le coin arrière droit… le moins agité. Mon compagnon, un Espagnol, arrêté à Montpellier avait réussi à obtenir un peu d’eau à l’arrêt précédent. Nous nous humections régulièrement les lèvres.
    Lucien Pascal et Daniel Gros se sont évanouis dès les premiers échanges de coups. Ils sont tombés le visage contre la base de la porte coulissante. Quelques centimètres à gauche… ils ne se réveillaient plus. Au-dessus d’eux, bien accroché à une fente minuscule de cette porte, sans se soucier de ce qui se passe dans son dos : Joseph Barlot.
    16 h 35  – 20 heures — Reims, voie de garage
    (wagon métallique André Gonzalès).
    Pas un bruit. Pas un cri.
    16 h 35  – 20 heures  – Reims, voie de garage
    (wagon Garnal-Mamon).
    Un jeune policier de Montpellier, Pierre Mamon et un médecin de Cahors, Jacques Garnal, ont porté leur wagon à bout de bras tout au long de cette première partie du voyage. La discipline qu’ils avaient imposée, favorisée par une copieuse cueillette de « canettes » à Saint-Brice et à l’arrivée de Reims, s’écroule soudainement :
    — Un grand clx , très fort, surgit de l’arrière du wagon, une grosse chaussure à la main et assomme sa première victime. Il revient dans mon coin pour renouveler plusieurs fois son geste de tueur… J’étais contre la paroi de droite avec trois jeunes apeurés. J’avais en main une « bonne godasse » prêt à répondre à toute attaque.
    Deux de ces jeunes, Georges Bernado et Didier Boueilh sont secoués de pleurs nerveux… Henri Garcia s’évanouit. Le docteur Garnal, Mamon se précipitent sur le « géant à la chaussure » pour le ceinturer. Garnal est assommé. Quelqu’un crie :
    — C’est un joueur de rugby de Toulouse… on fait pas le poids. Je le connais.
    Le géant s’empare de la tinette et comme à la touche… reprise avec le tonneau d’eau. Garnal baigne dans le sang, dans…
    Tout le monde se bat… ou presque.
    — … Pour ma part clxi et bien qu’ayant subi les fouilles comme mes autres camarades, j’avais réussi à conserver un petit canif que j’avais collé avec du sparadrap sous mon bras gauche, à la naissance de l’aisselle. Ce couteau allait me sauver la vie car, dès lors que j’ai eu constaté la direction du train et jugé de cet entassement humain, je n’ai eu de cesse que de me coller littéralement à la paroi du wagon. L’altruisme est un acte magnifique ; la vie est une chose bien plus précieuse. Un atavisme profond, doublé d’un sens inné des réactions et préoccupations primitives de l’homme, me fit entrevoir avant l’heure la tragédie sanglante qui allait se dérouler. Qu’importe la nourriture, quelle importance y a-t-il d’être encore plus mal à l’aise que les autres, lorsqu’on sent qu’un brin d’air vous laissera vivant ? Tandis que déjà des mourants agonisent, que d’autres se dévêtent, patiemment, sans bruit, avec l’aide de mon canif, je confectionne à la jointure de deux planches un petit trou. Dès lors qu’il est achevé, ma bouche s’écrase. Jusqu’au 5 juillet, mon seul horizon aura été cette planche et mon seul répit, celui de le cacher, afin qu’on ne le voie pas. Tel un trésor des Mille et Une Nuits où les voleurs n’étaient pas comme les autres, mais des fous à la recherche du salut ; mon trou était un diamant à nul autre pareil.
    Le géant, enfin assommé, est tiré vers la porte coulissante.
    — Nous clxii avons dû le fixer aux anneaux servant à attacher le bétail dans les wagons, avec les ceintures de nos pantalons.
    Des dizaines de morts

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