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Le train de la mort

Le train de la mort

Titel: Le train de la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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Bernard-Troncin).
    — Avant clxxxiv le départ de Compiègne, les Allemands découvrent, à la fouille, un couteau dans la paille du wagon : nous serons privés d’eau. Je crois que cette punition, tout en aggravant nos souffrances, va contribuer à ce que notre wagon n’ait pas de mort : nous avons moins chargé l’atmosphère de l’humidité saturée d’urée de la transpiration. Ce n’est pas le seul facteur favorable. Des camarades, dont je regrette infiniment de ne pas connaître l’identité, vont établir une discipline raisonnable dans les postures des cent prisonniers et leur relève périodique. On bougera le moins possible. Des hommes se relaieront pour faire circuler l’air confiné en balançant des couvertures. Quant à la situation, elle est celle de tout le train ; à peine une mince fente dans la clôture hermétique… J’estime, avec l’expérience des séjours (brefs) dans des étuves d’essais, que la température a atteint 70° C. La journée est atroce, d’autres le diront mieux que moi, chez lesquels la situation est plus grave encore, faute de discipline. J’ai à peu près perdu connaissance lorsqu’un camarade me sauve sans doute la vie en me hissant au contact de la fente que j’ai signalée : c’est longtemps après que j’ai appris son nom, celui de l’accordéoniste André Verchuren, auquel je garde toute ma reconnaissance clxxxv .
    16 h 35 – 20 heures  – Reims, voie de garage (wagon Lambert ).
    Dans le wagon clxxxvi que j’occupais, c’était le calme complet et je vais vous en donner la raison.
    Nous étions là vingt ou trente Poitevins qui me connaissaient tous depuis déjà assez longtemps. Vers midi, au moment où la chaleur commençait à devenir intolérable, il y eut une ruée vers le tonneau d’eau et l’on s’aperçut qu’il était plus qu’à moitié vide. Comprenant alors le danger que nous courions, tous les Poitevins me demandèrent d’assurer la discipline dans le wagon et de faire la répartition équitable de l’eau. Je n’eus pas de peine à faire comprendre à tous les autres les dangers qui nous menaçaient si nous perdions notre sang-froid. Nous évaluâmes alors à chacun trois quarts de litre notre réserve d’eau. Il fut donc décidé sur le champ que chacun allait en boire immédiatement un quart de litre et que la prochaine distribution ne se ferait pas avant le soir à 7 heures. Puis l’autre quart serait réservé pour les deux autres jours de voyage.
    Je les fis ensuite asseoir tous, par rang, adossés à chaque extrémité du wagon, les jambes, écartées, et le rang suivant assis entre les jambes de celui placé derrière lui. Placés ainsi, quatre-vingt-dix à quatre-vingt-douze hommes peuvent tenir dans un wagon. Je fis placer ceux en surnombre debout, deux à côte de chaque fenêtre. Ces huit derniers se trouvaient, eux, avoir une place d’honneur, mais, en compensation, ils avaient pour mission, deux par deux – l’un à droite, l’autre à gauche – d’agiter en permanence une grande couverture qui ventilait ceux qui étaient assis, ce qui rendait l’atmosphère un peu plus respirable. Il serait osé de croire que, dans cette situation, notre position constituait un paradis terrestre par rapport aux autres occupants du train, car c’est de justesse que nous évitâmes un drame comme celui des autres wagons. Néanmoins, nous l’évitâmes.
    Vers 5 heures du soir, personne ne pouvait plus y tenir : les hommes commençaient à demander à boire avec obstination. Je leur rappelais l’engagement pris :
    — À 7 heures seulement.
    Les gens d’âge mûr se résignaient plus facilement. Le plus tenace était un enfant de dix-huit à vingt ans, qui avait été arrêté dans un camp de jeunesse et qui, les larmes dans les yeux, me suppliait de lui donner à boire. Je lui donnais toutes sortes de raisons pour le faire attendre… Au début, d’une façon assez rude ; mais devant sa détresse, je me sentais petit à petit attendrir ; lorsqu’enfin il me lâcha son dernier argument :
    — Vous n’êtes pas un père, parce qu’autrement vous ne me laisseriez pas souffrir ainsi.
    Je vis alors dans son regard tant de supplications malheureuses, tant de douleur innocente, tant de tressaillement dans toute sa chair qui sentait sans doute pour la première fois la véritable souffrance, accompagnée de la douleur morale de se sentir en cette heure loin de sa famille qu’il avait peut-être

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