Le train de la mort
qui pourrait bien me regretter ? Maintenant l’Allemagne… j’ai l’impression de savoir ce que c’est. Je suis en vie. J’ai sauvé ma peau.
11 h 58 – Sarrebourg gare.
— C’est bien le 7909 ?
— Oui ! C’est ça !
Jules Martin vient de s’adresser à un sous-officier.
Il ajoute :
— Je dois ravitailler ces hommes.
L’Allemand éclate de rire :
— On peut dire que vous avez de la chance. Il y a cinq cents morts. Cinq cents morts ça vous fait cinq cents rations de trop… donc moins de travail. Vous savez où sont les toilettes, faut que je dégueule…
Jules Martin se dirige vers le wagon de voyageurs. Les schupos de Sarrebourg, sans précipitation, prennent place le long du train. Une voix crie :
— Ne laissez approcher personne !
Jutes Martin s’arrête devant un groupe.
Les derniers gardiens quittent le wagon des voyageurs :
— Toi ? Qui t’a laissé passer ?
— La Croix-Rouge a préparé…
— Quelle Croix-Rouge ? Qu’est-ce que c’est que la Croix-Rouge ? Vous entendez ?… La Croix-Rouge !
— Nous avons préparé deux mille rations sur l’ordre de la direction de Sarrebruck…
— Et nous on te dit que tu peux te les foutre au cul…
— Mais la soupe… et de l’eau…
— Au cul ! Avec ou sans eau, ils crèveront quand même. Fous le camp !
12 heures – Sarrebourg gare.
Franz Mulherr, retenu dans son bureau par la formation d’un train de la Wehrmacht reçoit deux appels téléphoniques de Jules Martin et du sous-officier d’ordinaire :
— Venez de toute urgence ! Nous n’avons pas l’autorisation de ravitailler le train… Il y a au moins cinq cents morts. Ils veulent continuer dès le changement de machine.
Mullherr sonne le dépôt.
— C’est M. Martz ? Très bien ! La machine 7909 est sortie ?
— À l’instant.
— Contactez immédiatement le mécanicien. Laissez-le atteler, mais il ne doit partir que sur mon ordre. Vous entendez ! Que sur mon ordre, Dites-le-lui.
12 heures – Sarrebourg dépôt.
La locomotive 040 D. G8 (AL) de Jean Koestler glisse sous la marquise du dépôt en lâchant un tourbillon de vapeur.
Marche à vue. Lentement. À mi-chemin, Koestler croise la machine « rameneuse » de Joseph Klein.
De la main gauche Klein désigne l’arrière. Koestler comprend : « Là-bas à la mise en tête…» Klein secoue sa main droite au niveau des lèvres déformées par une grimace. Koestler traduit : « Là-bas à la mise en tête, il se passe quelque chose de pas normal. »
Volant fermé. Vapeur. Sifflet. Caresse des deux paires de tampons. Stupeur de Koestler qui souffle au chauffeur :
— Fais attention en accrochant, je viens de voir arriver Mulherr en personne. C’est pas normal ! Et puis je descends avec toi, on va accrocher ensemble.
12 h 4 – Sarrebourg gare.
Un cheminot que ne connaît pas Koestler grimpe sur la machine :
— C’est de la part de M. Martz du dépôt. Vous mettrez en marche quand le capitaine Mulherr vous le dira… et lui seul.
— Eh là-haut ?
Le mécanicien se penche vers le capitaine Mulherr.
— Inutile d’accrocher pour le moment. Je vous préviendrai tout à l’heure.
Le capitaine Friedrich Dietrich surgit dans le dos de Mulherr.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? Nous sommes en retard. Nous partons de suite.
Une dizaine de schupos entourent les deux officiers.
— Je suis…
— Je suis…
Présentations froides, « coincées ». Mulherr prend le bras de Dietrich.
— Faisons trois pas.
Ils s’éloignent de cinq mètres cclxiii :
— Nous n’allons pas nous disputer en public. Les badauds commencent à s’agglutiner… Bientôt toute la ville va se tenir aux balcons.
— Enfin voyons, vous n’allez pas continuer avec tous ces morts !
Dietrich est abattu, défait. Il essuie régulièrement son front du revers de la manche. Mulherr poursuit :
— Ce que j’ai entrevu en longeant le train me remplit d’horreur. Tous ces morts… et les vivants n’ont plus rien d’humain. Vous ne pouvez continuer avec ces morts. Il y a ces émanations qui empestent, les risques d’épidémies.
— Je dois accompagner à Dachau les morts et les vivants. C’est un ordre. Un ordre d’Himmler : « Morts ou vifs. » J’ai pris ce train à Novéant ; l’escorte s’est enfuie sans me donner aucune explication. En me laissant quatre cent cinquante cadavres sur les bras.
— Mais il faut
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