Le tresor de l'indomptable
les peintures. L’artiste avait évoqué avec réalisme une cruelle scène de l’Enfer : une plaine où une foule d’hommes et de femmes de tous âges, nus, cloués au sol, se tordaient sous les supplices. Des démons se mouvaient parmi eux et les fouettaient. Dans une autre partie de la fresque, les victimes étaient étendues sur le dos pendant que des dragons, des serpents et des crapauds menaçants leur enfonçaient des aiguilles brûlantes dans les chairs avant de les dévorer. Quelques corps voués à l’Enfer étaient suspendus par un membre à des chaînes ardentes ; d’autres étaient torturés dans des poêles à frire chauffées à blanc ou embrochés au-dessus des flammes. Dans un autre tableau, une maison était en flammes ; tout près on plongeait des êtres humains dans des cuveaux remplis de métal en fusion, et des hommes, des femmes, dévêtus, étaient projetés dans l’air comme s’ils étaient des flammèches de feu. Berengaria, fascinée, avançait. Tout en regardant les malheureux qui, ne pouvant plus supporter la chaleur excessive, plongeaient dans des rivières glaciales, elle n’éprouvait nulle culpabilité devant son propre péché. Au centre de la fresque, la bouche de l’Enfer s’ouvrait, immense cratère qui vomissait des volutes de flammes noires vers lesquelles une horde d’esprits maléfiques traînait des légions d’âmes en peine, en les pressant à l’aide de fouets épineux et de pincettes brûlantes.
Berengaria frissonna et revint vers la flamme du cierge. L’église était ancienne ; le père Warfeld lui avait expliqué qu’elle était là avant l’arrivée des Normands. Berengaria, ignorant qui étaient les Normands, s’absorba dans la contemplation de ses doigts. Le prêtre lui avait dit qu’ils étaient longs et déliés, élégants et beaux, et elle en avait été flattée. Elle examina ses mains tout en réfléchissant à l’avenir. Elle avait des projets précis. Elle en savait plus que ce clerc aux yeux intelligents, aux manières fureteuses et aux questions indiscrètes. Elle pouvait attendre, alors pourquoi pas les autres, surtout ses prochaines victimes ? Ils devraient tous attendre un peu, bien qu’elle ait fait allusion à ce qu’elle savait. Oh oui, quand ils s’étaient tous retrouvés à Sweetmead la veille, elle avait montré de quoi elle était capable ! Elle se remémora un proverbe que lui avait un jour appris un soldat : « Il vaut mieux parfois ne tirer qu’à moitié son épée : ainsi l’ennemi voit luire le métal. » C’est ce qu’elle avait fait !
— Berengaria ? Berengaria ?
Elle se retourna d’un coup. L’obscurité, trouée par la seule lueur du cierge, régnait dans l’église.
— Berengaria ?
— Qui est-ce ?
Elle passa du transept à la nef.
— Qui m’appelle ?
Entendant du bruit derrière elle, elle pivota sur ses talons. Son sourire s’évanouit à la vue de la silhouette encapuchonnée qui fondait sur elle. Elle se détourna pour fuir, ouvrit la bouche pour hurler, mais le noeud lui cingla le cou, lui coupant la respiration, faisant monter le sang à ses oreilles. La prise se resserra et Berengaria périt très vite, étouffée.
Corbett et ses deux compagnons parvinrent à Maubisson au milieu de la matinée. Les cloches de la ville conviaient encore les fidèles à la dernière messe. Wendover et un groupe de gardes étaient installés devant le perron du manoir. Corbett leur ordonna d’ouvrir les portes et de rester dehors jusqu’à ce qu’il les convoque. Le capitaine essaya de nouer conversation avec les arrivants, mais le magistrat l’écarta d’un geste cassant et fit monter sans plus attendre Ranulf et Chanson dans la sinistre grand-salle. Une fois qu’ils furent entrés, il claqua l’huis derrière lui et s’y adossa.
Ranulf ôta sa chape et la jeta sur un banc. Puis il resserra son ceinturon et rajusta son épée et son poignard dans leur fourreau, gestes de pure nervosité parce que « Maître Longue Figure » s’était montré fort impatient. Il avait fait irruption dans l’hôtellerie, les avait arrachés, lui et Chanson, à un plat de tartines de miel et de jambon séché ainsi qu’à des gobelets de la plus délicieuse des bières, et les avait envoyés tout de go chercher les chevaux. Ils les avaient sellés et avaient galopé aussi vite que la neige et la glace l’avaient permis jusqu’à cette lugubre demeure.
— Sir Hugh, fit remarquer Ranulf
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